14 juillet 2022

Fragments, juillet 2022



- Cinéma : la différence entre Shining et Doctor Sleep : Shining est une comédie horrifique. Tous les films de Kubrick ont des éléments de satire et de dérision. C'est quelque chose de très juif : les Marx Brothers, Woody Allen, etc. Les non-juifs ne peuvent pas comprendre. Kubrick tourne en dérision les films d'horreur, ses personnages sont des personnages de cartoon (d'ailleurs ils n'arrêtent pas de regarder des cartoons). La réception du film, à l'époque, ne s'y était pas trompée : Stephen King avait détesté le film, qui avait été nommé aux Razzies Awards, etc. On sentait bien que quelque chose clochait. Kubrick était quelqu'un de très intelligent, de très spirituel, qui prenait toujours un peu son public de haut. Shining est une satire féroce, une destruction jubilatoire de la cellule familiale américaine, exactement dans la tonalité des films de Woody Allen à la même époque. Doctor Sleep, à côté, est d'un sérieux plombant, on est entre le sermon et le style pompier. C'est une glorification des liens familiaux, complètement au rebours du film original (Wendy, mère négligente et un peu écervelée chez Kubrick, devient une mère attentionnée dans Doctor Sleep, etc.). Il y a une profonde différence de ton entre les deux films. Les goyim finissent toujours par tomber dans le sérieux, dans l'emphase, dans l'idolâtrie, c'est plus fort qu'eux. C'est toujours le destin de l'ironie quand elle est trop réussie, trop brillante : on finit par la prendre au sérieux, par prendre pour argent comptant et par adorer ce qui était en fait raillé : la même chose est arrivée à Platon, à Voltaire, etc.
 
- Le changement apporté par le christianisme a été radical. C'est la substance même de la vie qui a été changée. Nous n'avons pas idée de l'ampleur de cette mutation. De tous les penseurs, c'est sans doute Nietzsche qui l'a senti avec le plus d'acuité. Si nous étions brusquement plongés à cette époque, à l'époque d'Alexandre par exemple, ou de Periclès, nous suffoquerions sous l'effet du choc. L'existence nous paraîtrait comme quelque chose de vraiment terrible, de coloré, de vivant, d'ouvert, de séduisant jusqu'à l'insoutenable. Le christianisme a donné leur liberté aux hommes par rapport à leur existence (puisque tout est accompli en Christ), mais il a ôté toute la magie de celle-ci ; c'est lui qui a vraiment « désenchanté le monde ».
 
- Il y a moins de différence entre Kant et Mill, qu'entre Kant et Mill d'une part, et un homme qui ne philosophe jamais d'autre part. Il y a moins de différence entre Zénon et Épicure, qu'entre Zénon et Épicure d'une part, et un homme qui ne philosophe jamais d'autre part. La différence entre les diverses écoles philosophiques compte assez peu, au final elles proposent à peu près le même genre de vie. La véritable différence se situe entre ceux qui s'engagent dans une voie philosophique, quelle qu'elle soit, et ceux qui mènent leur vie en étant soumis à de tout autres déterminations ; entre ceux qui soumettent leur vie à un principe abstrait (quel qu'il soit), et ceux qui vivent dans la pure causalité matérielle. En fin de compte, Kant et Mill ont eu à peu près la même vie, les mêmes vertus, etc., de même que Zénon et Épicure. La véritable divergence se situe en amont, au moment de quitter la vie triviale et d'embrasser une vie philosophique.
 
- Qu'est-ce que Rome ? C'est l'intériorisation de la violence. C'est la violence transformée en discipline, en législation, en mœurs, en civilisation. Toutes les autres civilisations fuyaient la violence d'une façon ou d'une autre, dans l'art, dans la débauche, dans le mysticisme, etc. Seule Rome a fait de la violence son étude unique, et l'a transmuée en politique. C'est pourquoi c'est elle qui a gagné la grande compétition du monde antique. Rome est donc l'antithèse absolue du christianisme, qui transmue au contraire la violence en pardon, ce qui est impossible à perspective humaine, et n'est rendu possible que par l'effusion de l'Esprit de Dieu en Christ.
 
- Lovecraft est un grand auteur occidental, car il s'inscrit très rigoureusement dans la grande tradition décapante des auteurs occidentaux. Il démolit nos certitudes morales et métaphysiques avec la même radicalité jubilatoire qu'un Descartes, un Spinoza, un Kant, etc.
 
- Le vrai problème est celui du sacré. Dans une société avec un ordre et un sacré fermement installés, le problème du désir sexuel ne se pose pas, car l'individu est de toute façon relié à quelque chose qui le dépasse et qui donne un sens à sa vie. La jeune fille sexuellement attirante ne se détache avec une telle force que parce qu'elle se détache sur un fond de pure ustensilité et de pure immanence. Cela peut sembler rude de le dire ainsi, mais elle est vue comme un ustensile parmi les autres. Un objet dans un monde d'objets. Comment pourrait-il en être autrement ? Ce ne sont pas les hommes qui sont pervers (des « porcs »), c'est l'effacement de tout ce qui donnait un sens à la vie (à commencer par la valeur attribuée à la parole, au verbe) qui ne laisse plus que cela dans le rapport qu'un homme peut nouer avec l'existence. Les jeunes filles d'ailleurs le sentent instinctivement, qui sont toujours très critiques ou moqueuses à l'égard du catholicisme, de l'islam, de la spiritualité en général, et très admiratives au contraire devant tout ce qui est technologique, les gadgets, le high-tech, etc. Elles promeuvent spontanément l'environnement qui les met en valeur.

4 commentaires:

  1. Réponses
    1. Merci, cher Marginal ! Pour le 14 juillet, je suppose que cela s'imposait...

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    2. Et un feu d'artifice que la canicule n'aura pas annulé, cher Marginal !

      Mais dites-moi, cher Laconique, à propos de "Shining", je m'interroge après avoir lu votre billet : Shelley Duvall exagérait-elle son jeu pour la dérision ou jouait-elle vraiment mal ? Parce que lorsque j'ai vu le film, je ne vous cache pas que j'étais un peu gênée en la regardant, je ne savais pas du tout quoi en penser...

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    3. Eh, ma foi, chère miss Flint, c'est une bonne question que vous posez là. Tout cela est fort bien documenté. En fait Kubrick la maintenait dans un état de perpétuelle anxiété sur le tournage par des rebuffades, des engueulades, etc., afin qu'elle soit sans cesse « en tilt ». D'où la voix tremblotante, le regard fuyant, etc. On peut voir cela sur Youtube, ça a été filmé. Il ne lésinait pas sur les moyens, ce Kubrick...

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