29 août 2010

Sagesse et littérature

      L’homme inspiré est sans œuvre ; l’homme saint ne laisse pas de nom.
                                                                                                          
      Tchouang-tseu.
 
      Je me demande si la sagesse ne s’oppose pas à la création littéraire. Dans toutes les traditions, le silence est l’apanage du sage. Le moteur de l’écriture, c’est le déséquilibre, l’insatisfaction. Le fanatisme excite la verve de Voltaire comme Napoléon III celle de Hugo. J’aspire à devenir sage, mais je ne peux me résigner à être totalement silencieux. Renoncer à la parole, c’est renoncer à son identité, et je ne suis pas encore assez asiatique pour ça. Gide disait que c’est en assumant autant que possible ses particularités que l’on pouvait produire une œuvre intéressante. Peut-être avait-il raison. Mais c’est dans la direction inverse qui je tends de toutes mes forces : écrire en me détachant le moins possible de la vie telle qu’elle est, de la vie qui me précède et m’ignore.

17 août 2010

Woody Allen et la morale

      Cet homme n’avait aucun respect pour ce qui était sacré à mes yeux : Dieu, l’âme, la famille et mes objectifs les plus intimes.

      Mia Farrow.

      Il n’y a aucune morale chez Woody Allen. C’est même là le message explicite de tous ses films, et en particulier de certains de ses derniers opus comme Match point ou Whatever works. Pour lui, la vie n’a pas de sens, tous les idéaux spirituels ne sont que des chimères.
       En théorie, un tel point de vue m’est très antipathique. Et pourtant, c’est justement ce côté nihiliste, corrosif, qui me plaît dans ses films. Je crois que cela tient – outre à son talent – à la nature de son art : le cinéma est un art objectif, un peu froid, extérieur, qui s’accommode mal en général des bons sentiments. Dès que l’on y cherche à émouvoir, la mièvrerie et le ridicule menacent. En revanche, il se prête très bien à la critique et à la satire, ainsi qu’à l’ironie. Rien ne lui est plus aisé que d’établir une certaine distance avec ce qu’il représente. C’est même là que son art à proprement parler commence – en deçà, il ne s’agit que d’illustration. Ainsi, le cas de Woody Allen confirme une vieille leçon : que l’art doit s’affranchir de la morale et n’obéir qu’à ses propres règles.

15 août 2010

La Voie du ciel

       Le ciel, cette grande urne, adorable et profonde, /Où l’on puise le calme et la sérénité. 
                     
      Victor Hugo, Les Rayons et les ombres.

      Le ciel est l’image fidèle du mental. En surface, il change tout le temps. Mais en profondeur, il est immuable et immaculé.

13 août 2010

Philosophie de vie

      Il y a un point commun entre tous les gens malheureux que je connais : ils ont une mauvaise philosophie de vie, ou pas de philosophie du tout. Le pire est de n’en pas avoir du tout : on flotte alors au gré des circonstances, complètement soumis aux données sensibles, et l’on cause à la fois son propre malheur et celui de son entourage.
       Un autre cas, moins fréquent, est celui de ceux qui se sont construit une philosophie face à l’existence, mais une philosophie fausse. En se raccrochant à leurs certitudes comme à une bouée, ces personnes arrivent plus ou moins à tenir le coup sur la distance. Mais elles sont sans arrêt confrontées aux démentis que leur oppose la réalité, réalité qu’elles occultent ou qu’elles arrangent à leur convenance, ce qui rend leur compagnie assez lassante.
       La vie n’est pas une chose difficile si on sait la prendre par le bon bout. Il est assez désespérant de constater à quel point les gens se soucient peu en général de comprendre les grandes lois de l’existence et de s’y conformer. Tous les bons livres de philosophie, toutes les sagesses et toutes les spiritualités disent pourtant la même chose : réfrénez vos désirs, soyez sans égoïsme, apprenez à vous connaître et à devenir maître de vous-même. C’est si simple – mais on cherche toujours les complications.

11 août 2010

Voltaire ou Lao-tseu ?

      Dans L’Homme aux quarante écus de Voltaire, je lis la phrase suivante : « Lisez, éclairez-vous ; ce n’est que par la lecture qu’on fortifie son âme. » Or, dans le Tao-tö king de Lao-tseu, on peut lire ceci : « Abandonner l’étude c’est se délivrer des soucis. »
       Longtemps j’ai cru que seule la quantité de lecture effectuée par une personne déterminait sa qualité intellectuelle et même morale. L’expérience m’a appris que je me trompais. Certes, il y a de fortes chances pour qu’une personne qui ne lit jamais soit imbécile et sans intérêt. La lecture ouvre l’esprit et détache l’individu de ses préoccupations primaires. Un peu (et même beaucoup) de lecture est donc indispensable pour former une personnalité riche et épanouie.
       Mais il y a un danger de la lecture : celui de se perdre dans les livres, et de ne plus penser par soi-même. L’âme a besoin de silence pour se connaître. Elle a besoin d’activité pour mesurer ses forces. Il lui faut donc s’écarter des livres, pour mieux les retrouver ensuite.
       Au fond, tout, dans la vie, est une question d’équilibre. C’est pourquoi la vie est un combat perpétuel : on ne peut jamais se reposer dans une attitude particulière pour en exiger l’épanouissement. Saisir l’injonction de chaque instant, et savoir mesurer ses efforts, voilà tout l’art.

9 août 2010

La pitié

       Dans L’Art de la méditation de Matthieu Ricard, je lis la phrase suivante :

      L’amour altruiste et la compassion sont les fondements du bonheur authentique.

       Or, dans la Bhagavad-Gita, on peut lire :

       Tu t’apitoies là où la pitié n’a que faire, et tu prétends parler raison. Mais les sages ne s’apitoient ni sur qui meurt ni sur qui vit.

       Et dans le fameux Tao-tö king de Lao-tseu :

       Le saint n’a point d’affections humaines ; le peuple lui est comme chien de paille.
         
       Et, de fait, le bouddhisme primitif ne prônait aucunement la compassion, et ne prétendait pas être autre chose qu’une voie de salut individuelle. C’est le bouddhisme dit du Grand Véhicule, apparu plus tard, qui a placé la compassion au centre de son éthique. C’est que la pitié, loin d’être reconnue comme un principe spirituel authentique, était condamnée par toutes les religions et toutes les sagesses de l’Antiquité. Platon, les stoïciens, Cicéron, Epictète, tous nos philosophes antiques condamnaient fermement la pitié, la considéraient comme une faiblesse et un danger pour l’individu. Ils estimaient que le premier devoir de chacun, envers soi-même comme envers les autres, était d’être sain, et assimilaient la pitié à une maladie de l’âme. Puis le christianisme est arrivé, qui a changé la donne…
       Faut-il promouvoir la pitié et la compassion ? Il est bon de savoir, en tout cas, qu’il ne s’agit nullement là d’une valeur universelle, reconnue par toutes les voies de sagesse qui se sont offertes aux hommes au cours des âges.

7 août 2010

Les circonstances contraires

      Les circonstances contraires sont l’état naturel de la vie. Quiconque s’intéresse à l’histoire des hommes sait que pour l’immense majorité d’entre eux l’existence n’a été qu’une longue lutte contre les circonstances. Pourquoi ceci devrait-il être différent à notre époque ? Si l’on part dans la vie avec l’idée que les choses doivent nous sourire, que le bonheur nous est dû, l’on se condamne au malheur. Plus on croyait au bonheur, plus on est malheureux, et moins on a de ressources pour faire face.
       La nature, pourtant, n’a pas mal fait les choses. En dotant chaque individu d’une subjectivité autonome, elle a donné à chacun la possibilité de maîtriser sa propre expérience. Il ne tient qu’à nous de mettre de l’ordre, de la probité et même de la beauté dans notre manière de gérer notre mental. Si le bonheur dépend des faveurs de la fortune, la liberté, elle, est entre nos mains.

5 août 2010

L'oubli de la littérature

      Ils reviendront, ces dieux que tu pleures toujours.

      Nous vivons une époque extraordinairement peu littéraire. Dans un pays comme la France, c’est une situation à peu près sans précédent. Il faut sans doute remonter jusqu’au Premier Empire pour retrouver une telle indifférence envers la chose littéraire. La raison en est simple : l’idéologie qui domine actuellement a fait de l’instantané sa valeur suprême. Tout doit être immédiat, et tout doit être tangible. Or la littérature s’épanouit dans le temps. Dans une époque sans mémoire et sans perspective, il n’y a pas de place pour elle.

       Mais je ne m’en fais pas. Cette situation ne durera pas. Le désir de la vérité et le besoin d’exprimer les choses de manière adéquate sont trop profondément ancrés au cœur de l’homme pour disparaître. Comme disait Nerval : « Le temps va ramener l’ordre des anciens jours. »

3 août 2010

Le Rivage des Syrtes

      Je lis Le Rivage des Syrtes. Ce n’est pas là la littérature que je préfère, ou plutôt cela ne correspond pas à la conception que je me fais de ce que devrait être la littérature Le style parfait, pour moi, ne doit présenter aucun apport par rapport à la pensée : il est l’expression la plus juste et la plus concise possible de ce que l’on à a dire. C’est en cela que réside son harmonie, et en rien de plus. Le style de Gracq, lui, apporte quelque chose de plus. Le texte affiche ostensiblement son caractère littéraire. L’idée n’est plus pure, il s’y ajoute de la matière.
       Et certes, c’est sans doute moi qui ai tort : c’est sans doute la matérialité des mots, leur choix en fonction de cette matérialité, qui confère à un texte une qualité spécifiquement littéraire. C’est en cela que Flaubert, Hugo, Mallarmé font de la littérature. Mais j’ai une vision plus archaïque des choses, celle des époques (le dix-huitième siècle de Voltaire entre autres) où la distinction entre le message et l’expression n’était pas encore faite, ou, plus exactement, où l’expression était totalement subordonnée au message. Gracq, au bout de quelques pages, m’ennuie et me tombe des mains. Je ne suis pas insensible à son travail stylistique, je le distingue, il agit sur moi lors de la lecture, – mais tout cela ne me cause aucun plaisir, je n’arrive pas à en nourrir mon appétit littéraire.
       Je touche sans doute là du doigt la nature de la distinction entre les « classiques » et les – disons – « avant-gardistes ». Les avant-gardistes cherchent sans cesse à renouveler le langage, à lui imposer leur empreinte, tandis que les classiques tendent à faire oublier le langage, qui se dissout dans un parfaite adéquation avec ce qu’il veut exprimer.