3 avril 2015

René Guénon : La Crise du monde moderne

     
       Si tous les hommes comprenaient ce qu’est vraiment le monde moderne, celui-ci cesserait aussitôt d’exister.

       René Guénon, La Crise du monde moderne.


       Lu La Crise du monde moderne, de René Guénon. Prodigieuse originalité de cet esprit, qui croyait sincèrement à l’engloutissement de l’Atlantide il y a onze mille ans, à l’astrologie, à l’alchimie, et qui a en même temps formulé les vues les plus justes et les plus éloquentes sur le caractère insensé d’une certaine modernité. Et pourtant, si ma raison adhère totalement à la plupart des diagnostics émis par Guénon, mon cœur reste froid et n’est pas conquis par cette voix opiniâtre et méticuleuse. Le vice fondamental de cette pensée, c’est qu’elle professe que « tout dérive et dépend entièrement de la pure intellectualité ». Or le propre de la spiritualité authentique, selon moi, c’est justement de suspendre l’importance disproportionnée que l'activité intellectuelle a prise chez l’être humain, et de nourrir le centre vital, ce que les taoïstes nomment la « racine ». « Le saint s'occupe du ventre et non de l'œil », disait Lao-tseu. Guénon, lui, ne cesse de reprocher à ses contemporains de ne pas « comprendre » le message des traditions spirituelles, alors que ce qui importe en la matière ce n'est pas tant de comprendre des doctrines alambiquées que de recueillir les fruits de la pratique et du recueillement. En outre, c’est le concept même d’ésotérisme, d’« initiation », qui me gêne, comme si la sagesse avait besoin du secret et des ténèbres pour se manifester. « N’importe ! disait Gide, ces livres de Guénon sont remarquables et m’ont beaucoup instruit, fût-ce par réaction. » (Journal, octobre 1943).

15 commentaires:

  1. J’ai lu La Crise du Monde Moderne. Très pénible. Mélange de rigorisme mystique, de messianisme apocalyptique et de connivence avec le lecteur (énormément de sous-entendus, de phrases ambigües, de propos qui se veulent des évidences alors qu’ils sont l’exact contraire). De grandes affirmations péremptoires et absurdes. Imaginaire politique très à droite.

    Réné Guénon n’est pas aussi explicitement politique (et fasciste) que son disciple Evola, mais ils appartiennent à cette même famille d’esprits antirationalistes, antimodernes et antidémocrates. Et je ne dis pas ça par athéisme militant, il y a toute sorte de penseurs religieux que je peux suivre avec plaisir. Mais pas les réactionnaires de l’École Néo-Traditionnaliste. Trop d’aigreur et de sécheresse de cœur de ce côté-là, qui n’est qu’à un pas de la violence ouverte.

    Guénon et ses héritiers ayant tendances de nos jours à resurgir de la boîte de Pandore du XXème siècle d’où ils n’auraient pas dû ressortir, je leur réserverais quelques flèches très bientôt…

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  2. On voit que vous savez de quoi vous parlez, cher Johnathan Razorback ! Le monde intellectuel, c’est davantage votre domaine que le mien, et je ne peux que m’incliner… D’ailleurs, votre forum est une mine pour se documenter sur tous ces penseurs. En tout cas vous en parlez bien de ce René Guénon : il est en effet très péremptoire, mais c’est ça qui est bien ! Quand il affirme comme des évidences que l’Atlantide a disparu il y a onze mille ans, que nous sommes entrés dans le Kali Yuga il y a sept mille ans, ou que l’Europe entretenait des échanges avec le continent américain durant le Moyen Âge, il faut une sacré dose d’imperméabilité aux opinons communes pour avancer ça !

    Bon, je vous trouve quand même un peu injuste (s’il y a un auteur qui se voulait en dehors du champ politique, c’est bien Guénon), mais je ne peux pas nier qu’il était farouchement antidémocrate... Quand même, historiquement, l’extrême gauche nihiliste a davantage pratiqué le terrorisme que les rêveurs contemplatifs de la mouvance New Age, ce n’est pas à vous que je vais apprendre ça. Non, il ne faut pas être intolérant, personne ne doit rester enfermé dans « la boîte de Pandore », et surtout pas un être aussi distingué, original, désintéressé et bon écrivain que Guénon.

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    1. Oui, Guénon est au premier abord, et même à la relecture, "antipolitique". Mais en étudiant les causes du triomphe du nazisme, j'ai croisé un certain nombre de théoriciens comparables, plus ou moins déments: les Spengler , les Chamberlain, les Julius Langbehn et autre Lagarde, etc. Un bon nombre de "rêveurs" proclamant leur dégoût de la politique (nom de code de l'antiparlementarisme)... et c'est bien ce genre de personnages lugubres, pessimistes, amateurs d'occultisme et de théories étranges, souvent liées à un mythe de la race (terme devant lequel Guénon ne recule pas), ces hommes du ressentiment (au sens de Nietzsche) qui ont crée un climat intellectuel, dont je ne dis pas qu'il est le seul responsable de la victoire de l'extrême-droite, mais qui l'a de toute évidence facilité. Ce sont des faits historiques qui sont bons à garder à l'esprit lorsque nous jugeons des êtres et des choses, mon ami.

      Quant à mon "intolérance", croyez-le bien, ce n'est qu'un jugement tranché, exprimé sévèrement.

      « La tolérance n'est point l'indifférence, elle n'est point de s'abstenir d'exprimer sa pensée pour éviter de contredire autrui, elle est le scrupule moral qui se refuse à l'usage de toute autre arme que l'expression de la pensée. »
      -Jean-François Revel.

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    2. On retombe souvent sur le nazisme avec vous, cher Johnathan Razorback ! Mais sur ce coup-là, je ne peux pas vous donner tort, il est vrai que la pseudo-mystique nazie baignait dans l’occultisme. Vous voyez les choses en historien des idées, moi je m’en tiens au texte, sans considérer ce qui dépasse… Au fond aucune démarche n’est plus probe que l’autre, c’est juste une question de perspective.

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    3. "On retombe souvent sur le nazisme avec vous."

      J'espère bien que ça n'est pas obsessionnel ^^ Plutôt une approche du "Connais-toi toi-même" au moyen du non moins célèbre "Connais ton ennemi."

      "Il est vrai que la pseudo-mystique nazie baignait dans l’occultisme."

      Tout à fait. C'est un élément important et fort méconnu. Le mythe participe de l'abandon d'une compréhension rationnelle du monde au profit d'une extase inspirante vécue collectivement. Il remplace l'histoire et la science. Je trouve ça tout à fait significatif, sans qu'il me soit pour le moment possible d'établir une influence formelle de l'un sur l'autre, que cette histoire d'Atlantide chez Guénon se retrouve chez un des principaux doctrinaires du NSDAP. Preuve:

      "Les géophysiciens nous désignent des massifs montagneux enfouis entre l'Amérique du Nord et l'Europe, dont nous pouvons encore voir de nos jours certains reliefs émergés au Groenland et en Islande. Par ailleurs, ils nous apprennent que d'anciennes lignes d'eau situées à plus de cent mètres au-dessus du niveau actuel de la mer sont visibles dans des îles du grand Nord (Nouvelle Zemble) ; elles rendent probable le fait que le pôle s'est déplacé et qu'un climat plus tempéré a régné en Arctique. Tout cela éclaire désormais d'une lumière nouvelle la très ancienne légende de l'Atlantide. Il semble de plus en plus probable qu'un florissant continent se soit dressé là où de nos jours grondent les vagues de l'Atlantique et où s'élèvent des icebergs géants. Une race créatrice y aurait donné naissance à une importante civilisation envoyant ses enfants, marins ou guerriers, à travers le monde."
      -Alfred Rosenberg, Le mythe du XXème siècle.

      Cette mythologie, dénuée de la moindre base scientifique, est une constante de l'extrême-droite, apparemment du début du XXème siècle et jusqu'à nos jours. L'historien Stéphane François a publié une partie de ses recherches sur ce sujet peu banal.

      "Vous voyez les choses en historien des idées, moi je m’en tiens au texte, sans considérer ce qui dépasse."

      Oui, c'est assez vrai. Pour moi, le langage n'est pas le fait d'une monade isolée qui marmonne dans son coin, mais un fait de culture. La réception d'un texte nous en apprend beaucoup sur lui, sans bien sûr qu'elle puisse s'y substituer. Et aucun texte n'est jamais complètement clos, il est toujours en relation avec d'autres choses qui lui préexistent.

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    4. Ma foi, cher Johnathan Razorback, je connaissais mal cette histoire de « nordicisme », mais tout cela m’inspire la réflexion suivante, c’est que toutes ces théories racialistes et délirantes n’ont pu germer que sur un fond « d’athéisme militant », pour reprendre votre expression. On sait la piètre estime d’Hitler envers le christianisme. On sait également, les chiffres le prouvent, que ce sont les régions catholiques de l’Allemagne qui ont le moins voté pour lui. On peut critiquer les religions tant qu’on veut, force est de constater qu’elles préservent souvent de basculer dans ce que vous appelez très justement « une extase inspirante vécue collectivement ». (Cf. aussi le faible taux de vote FN chez les catholiques pratiquants).

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    5. Vous soulevez des questions complexes, cher Laconique. Ce qui me paraît sûr, c’est que l’histoire de l’Allemagne au XXème siècle ne se comprend pas sans considérer la crise morale et spirituelle soulevée par ce que Max Weber a appelé le « désenchantement du monde ». Il est également vrai que les catholiques allemands, minoritaires, ont été statistiquement moins attirés par le nazisme que leurs concitoyens protestants. Mais selon moi, on ne peut malheureusement pas en déduire une incompatibilité absolue du catholicisme et du nazisme. Le Vatican n’a par exemple pas coupé ses relations avec le Reich, au contraire . Un catholique fervent comme Carl Schmitt a pu mettre tout son prestige intellectuel au service du nouveau régime, en écrivant après la Nuit des Longs Couteaux le célèbre et infâme article « Le Führer protège le droit », etc.

      Quand à la piètre estime d'Hitler pour le christianisme, je ne saurais le dire, après tout, on peut toujours considérer le passage suivant comme relevant de la pure propagande:

      "Je crois agir selon l'esprit du Tout-Puissant, notre créateur, car :
      En me défendant contre le Juif, je combats pour défendre l'œuvre du Seigneur."
      -Adolph Hitler, Mein Kampf (1924-1925).

      Je ne développe pas mais vous aurez compris que je ne tiens pas la religion comme une assurance contre quoi que ce soit.

      Par ailleurs et pour en terminer avec Guénon, je découvre par hasard ce soir, en lisant l’ouvrage dirigé par Michel Wieviorka « Racisme et modernité », une contribution de Maurice Olender (Usages "politiques" de la préhistoire indo-européenne), qui mentionne en passant, dans les notes de la page 95 :

      "Julius Evola et René Guénon [...] en 1938, faisaient l'éloge, respectivement en Italie et en France, [du caractère authentique] des "Protocoles des sages de Sion"."

      Ce qui, il faut l’avouer, confirme parfaitement mes intuitions...

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    6. Comme vous le dites, ce sont des questions complexes, et je vois que vous maîtrisez votre sujet ! Tout cela nous amène fort loin de Guénon, et comme je le connais fort mal, je veux bien vous croire quand vous affirmez qu’il y avait quelque chose de malsain dans ses théories. Pour moi la notion même d’«occultisme » est de toute façon suspecte…

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  3. Éh, voilà Le Marginal Magnifique qui débarque ! Après la bataille, mais il est bien là ! Pour vous, cher Laconique, qui méritez bien quelques efforts de clavier de votre serviteur. En tout cas, vos innombrables lecteurs sont servis en ce moment, vous êtes prolifique, vous pondez à tour de bras !

    D'ailleurs, je constate que ce bon M. Razorback est déjà passé par là pour faire le boulot et que la polémique fait rage.

    Donc vous êtes déjà de retour avec un nouvel article, cher Laconique, moins de dix jours après "Euripide et l'optimisme", et c'est avec Robert Guénon que vous nous revenez. Est-ce ma page Facebook où je me suis fendu d'une citation de cet auteur qui vous a inspiré ? Je crois plutôt au hasard, car cultivé et brillant comme vous l'êtes, cher Laconique, j'imagine que vous n'avez pas besoin de moi pour découvrir ce Guénon...

    J'ai feuilleté en ebook le livre dont vous parlez et, contrairement à M. Razorback, j'ai plutôt apprécié ce que j'y ai trouvé, même si je rejoins le fougueux et féroce sanglier à la bite que je veux imaginer d'acier à propos de passages "pénibles". Malgré cela, on sent la puissance quand même chez ce Guénon ! et une vrai envie de se tirer vers le haut, une soif de transcendance.

    Bon, je vous laisse déjà, cher Laconique, et bien le bonjour à M. Razorback, le féroce mais néanmoins courtois et mesuré bretteur, qui, je le sens, possède un tempérament de sauvage queutard priapique ; en ce qui me concerne, je commente juste pour la forme, je vous avoue que suis peu enclin en ce moment à jouer les intellectuels et encore moins à traîner sur le net, comme l'atteste suffisamment l'abandon de mes propres activités d'écriture où vous savez. Un ras-le-bol général, cher Laconique ! Plus le temps passe plus je tends vers la pureté, le dénuement et la simplicité. Je finirai probablement moine shaolin... ou clodo ! Enviable destin.

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  4. Ah ! là là, cher Marginal Magnifique, votre absence était remarquée, et votre retour ne passe pas inaperçu, comme toujours ! Je vois que malgré (ou peut-être grâce à) votre évolution vers le « dénuement », vous ne perdez rien de votre sagacité ! Et je ne puis qu’ajouter « aïe aïe aïe », car il semble que j’ai encore un ou deux articles dans ma botte qui vont bientôt pointer le bout de leur nez, et que, dans l’immédiat, mon rythme ne va pas baisser, ce qui risque de vous coûter de nouveaux efforts… Vous me donneriez presque mauvaise conscience ! Mais bon, vous savez que je n’exige pas grand-chose, exprimez-vous juste autant que votre verve vous l’inspire (en ce moment n’est-ce pas plutôt votre verge qui vous inspire ?), je n’en demande pas plus !

    Ma foi, les grands esprits se rencontrent, et j’étais justement en train de lire « La Crise du monde moderne », quand vous avez posté un extrait fort opportun sur votre page Facebook. Je vous rejoins assez : on sent une nature noble, portée vers l’idéal, qui ne mesure pas sa peine. Je vous rejoins aussi sur vos réserves : ce Guénon s’embrouille un peu parfois dans des considérations inutilement complexes et, comme dit Johnathan Razorback, assez suspectes et ambiguës. Bon, ce n’est pas un maître de sagesse, mais j’ai quand même beaucoup apprécié cette lecture très stimulante.

    En tout cas vous me faites toujours marrer, cher Marginal ! On sent à quel endroit se situe pour vous un des pôles de l’humanité ! Un « ras-le-bol général » de temps en temps ne fait pas de mal, mais ne vous éloignez pas trop quand même, restez branché au moins jusqu’à ce que Bayrou et Royal gouvernent, ça me ferait de la peine d’être privé de vos commentaires sur mon blog ce jour-là !

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  5. Bon, j'arrive après la bataille mais j'ai déjè bien appris en vous lisant tous les trois. Maintenant, il me reste à faire plus ample connaissance avec René Guénon. Votre blog remplit bien sa fonction, fouetter la curiosité littéraire et ça marche à tous les coups avec moi .
    Merci donc de toutes vos publications et je vous souhaite une bonne soirée.

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  6. Vous me flattez si je vous donne envie de lire ces ouvrages ! Le problème c’est que lire prend beaucoup de temps, et la vie moderne est déjà bien chargée… En tout cas je vous préviens que je ne reprends pas à mon compte tout ce que vous pourriez lire chez Guénon : c’est un auteur assez étrange, qui baigne dans l’occultisme, et il faut savoir faire la part des choses avec lui. Mais il est original et vraiment à contre-courant, et à notre époque c’est très appréciable.

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  7. Merci, cher Laconique, de m'avoir indiqué ce billet ! J'en ai lu pas mal, à mon arrivée sur Le Goût des lettres voilà quelques mois, mais je ne me souviens pas de celui-ci.

    Ce que vous écrivez de La Crise du monde moderne m'éclaire sur ma propre lecture car il semble que j'aie mal interprété certains aspects de la pensée que René Guénon exprime dans ce livre. Je croyais justement que lui aussi prônait un retour à un ordre traditionnel et à une "spiritualité authentique" mettant le corps en avant, si je puis le dire aussi imparfaitement. Je m'imaginais que par là même, c'était un anti-intellectualiste, un "anti-cérébraliste", ce d'autant plus qu'il dénonce farouchement le rationalisme et les excès intellectuels propres à notre époque moderne... C'est donc moi et moi seule qui ai dû mettre mes propres vues sur sa pensée. Et pourtant, en lisant ce matin sa charge contre l'"intuitionnisme" bergsonien (au chapitre V, contre l'individualisme), j'ai eu un gros doute, j'ai commencé à me demander où il voulait vraiment en venir, en fin de compte, et si ce n'était pas moi qui avais fait faut route dès le début dans ma façon d'aborder et de reformuler sa pensée... J'ai continué ma lecture, balayant mes propres objections d'un revers de la main. Malgré tout, je tire des enseignements de ce livre, je vois confirmées certaines intuitions que j'ai plus ou moins toujours eues sur les sociétés dans lesquelles nous vivons, mais ça ne va pas plus loin. Mais pour autant, je ne prends pas de plaisir, Johnathan Razorback l'a très bien écrit : la prose de Guénon est pénible, elle est même absolument indigeste, et je me fais violence pour terminer les quelques 90 pages qui me séparent de la fin (une chose est sûre : je n'enchaînerai pas avec Sans feu ni lieu ! Désolée, Jacques...).

    Quant au caractère péremptoire de certaines des affirmations de Guénon, je dois avouer qu'elles ne me gênent pas tant que ça, même si elles ne manquent pas de me surprendre. Par exemple, je trouve son opposition entre Orient traditionnel et Occident moderne bien trop catégorique, voire très manichéenne, et je suppose que son propos, qui occupe une place centrale de son oeuvre en général je crois, pourrait être nuancé. Quant à son attaque en règle de la philosophie, qu'il voit comme un obstacle à la métaphysique, je n'avais encore jamais vu ça ailleurs, j'ai choisi de ne pas y prêter attention, mais c'est vraiment stupéfiant !

    Bon, c'est un ouvrage que je ne regretterai pas d'avoir lu, mais avec lequel je prends les distances qu'il faut. Je pense même que je n'avais pas le recul et la culture nécessaires pour le lire. En fait, Guénon et son ouvrage (je ne parle pas du reste, que je ne connais pas) sont vraiment atypiques, et très opaques à aborder (pour ne pas dire ésotériques ?), et votre billet et les avis de chacun dans les commentaires m'ont permis de mieux "définir" les réserves floues que je nourrissais depuis le début, sans pouvoir les formuler correctement. J'avais un peu les fesses entre deux chaises, et je me demandais si ma perplexité était une réaction normale ou non à cet ouvrage...

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  8. Eh chère Miss Flint, vous arrivez longtemps après la bataille sur ce coup-là ! J’ai lu ce livre fameux il y a deux ans, et je dois dire que je ne m’en souviens pas très bien, sinon que pour moi non plus ce ne fut pas une lecture très agréable. Stimulante oui, mais parfois bien pénible incontestablement…

    Je crois en tout cas me souvenir que Guénon déclare à plusieurs reprises que « tout doit découler de l’intellectualité ». Après, il est peut-être antirationaliste en même temps, il est en tout cas anti-philosophie, je ne sais pas bien comment ça s’articule dans sa pensée, je ne suis pas un spécialiste de Guénon. Quant à sa distinction entre Orient et Occident, elle est en effet assez discutable, surtout quand on voit ce que sont devenus la Chine et le Japon de nos jours, sur le plan spirituel !

    Du coup, il me semble que votre « perplexité » est une réaction tout à fait normale. Je crois qu’il faut lire ce livre un peu comme une sorte de roman intellectuel, c’est un voyage dans des zones éloignées et parfois inhospitalières de la pensée, avec de temps en temps des trouées sur des paysages tout à fait pittoresques. Mais je suis pour ma part trop imprégné de la Bible pour y adhérer. Vous pouvez remarquer qu’il y a très peu de généralités dans la Bible, Dieu s’adresse toujours à des êtres singuliers, les appelle par leur nom, les interpelle par rapport à leur situation concrète, bref le contraire du discours guénonien, hyper général et global (pour ne pas dire parfois un peu fumeux).

    En effet chère Miss Flint, après Guénon je comprends que vous ayez besoin de respirer ! Un petit roman écossais serait parfait, mais je n’ai pas les connaissances en la matière pour vous conseiller pertinemment, hélas !

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    1. Ah là là oui, c'est vrai que j'arrive presque deux ans après sur ce billet, mine de rien. Ce n'est pas faute d'avoir demandé au Doc de me prêter sa DeLorean, en vain. Bon bah, c'est pas demain la veille non plus que j'irai danser avec un Pierre Cardin un peu plus frais !

      Trêve de plaisanterie, j'adhère à tout ce que vous écrivez ci-dessus. Votre analyse et votre ressenti sont aussi les miens. En fait, bien qu'on ne puisse pas reprocher à Guénon certaines de ses conceptions (cela ne nous regarde pas, après tout, surtout que Guénon n'est plus), c'est presque dommage qu'il ait été aussi péremptoire et aussi contradictoire, parfois. Le lecteur est comme pris en tenaille, mis en porte-à-faux.
      Et je vois que vous avez eu exactement la même réflexion que moi sur la Chine et le Japon, surtout que La Crise du monde moderne a été publiée en 1946, ce qui rendait cette objection d'autant plus facile. Allons, René ! tu aurais pu faire mieux que ça quand même !

      Pour ce qui est du "petit roman écossais", vous brûlez ! Figurez-vous que j'ai découvert, ce week-end, dans une petite anthologie publiée au Mercure de France, un court extrait d'une autobiographie, celle de la poétesse britannique Kathleen Raine (1908-2003), dont la mère était écossaise. Raine a passé quelques années de son enfance dans un presbytère de la frontière anglo-écossaise, avec sa tante, durant la Première Guerre mondiale. L'extrait m'a remué les tripes, et du coup, je n'ai pas résisté : il est sur Satis House (oui, je n'en fais qu'à ma tête avec ce blog). À présent, le premier tome de cette autobiographie (qui en compte trois) ne devrait plus tarder à me parvenir... Il me tarde de le lire. À noter que l'oeuvre de cette dame est traversée par le platonisme et le néoplatonisme...

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