30 mars 2016

Edgar Allan Poe : Les Aventures d'Arthur Gordon Pym


       Lu Les Aventures d’Arthur Gordon Pym d’Edgar Poe, avec intérêt, mais sans grand plaisir, je dois le reconnaître. Ma curiosité était à son comble devant cette pierre philosophale de la critique littéraire, qui a suscité maintes exégèses contradictoires, et qui a inspiré des suites à Jules Vernes (Le Sphinx des glaces) et à Howard Phillips Lovecraft (Les Montagnes hallucinées). J’attendais du mystère, de la poésie, et j’ai trouvé de l’horreur, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Deux observations à ce sujet :
       Il est remarquable de constater que Poe présente tout ce cauchemar comme explicitement désiré par son personnage. Le jeune Arthur Gordon Pym déclare, au début de son récit et avant son grand voyage : « Toutes mes visions étaient de naufrage et de famine, de mort ou de captivité parmi les tribus barbares, d’une existence de douleurs et de larmes, traînée sur quelque rocher grisâtre et désolé, dans un océan inaccessible et inconnu. » Or le roman ne sera pas autre chose que la concrétisation, jusque dans ses moindres détails, de la rêverie initiale. Nous avons ici une brillante illustration de l’axiome ancestral selon lequel la réalité n’est rien d'autre que la matérialisation des représentations internes, principe exprimé par Bouddha de la façon suivante : « La pensée précède toutes choses. Elle les gouverne, elle en est la cause. » (Dhammapada, 1).
       Il est ensuite hautement significatif que toute ma lecture de ce livre ait été accompagnée d’un léger mais constant malaise physique. Oppression thoracique, perte de repères, fébrilité, nuits agitées, etc. Tout cela se ramène, cette fois encore, à l’unique problème de la gestion du discours intérieur. Il y a des livres, ceux de Platon, de Sartre, de Bukowski, dans lesquels l’auteur surplombe complètement le discours, le maîtrise jusque dans ses moindres nuances. Lire de tels ouvrages procure un sentiment de contrôle, une légère euphorie. Ce qui caractérise la littérature horrifique au contraire, c’est la perturbation permanente du discours par l’irruption d’événements imprévus et terrifiants. D’où les phrases tronquées, points de suspension, modalités exclamatives, etc. Ce n’est plus le sujet qui domine, c’est le monde, un monde hostile. Edgar Poe et Stephen King me semblent les plus parfaits représentants de cette littérature, et j’ai éprouvé à peu près les mêmes sensations en lisant Les Aventures d’Arthur Gordon Pym qu’en essayant de relire, sans succès, Shining ou Sac d’os.

11 commentaires:

  1. Éh bien, cher Laconique, vous revoilà, et tel que je vous aime, c'est-à-dire en critique littéraire ! Enfin, vous qualifier de "critique littéraire" est réducteur tant vous excellez avec vos brillants articles qui rendent compte de vos lectures. Et vos innombrables lecteurs se pâment d'allégresse intellectuelle !

    Cette fois, vous vous êtes fait ce célèbre roman de Poe, que moi-même j'ai lu étant jeune. Pour tout vous dire, je m'en rappelle très peu et, comme c'est presque toujours le cas pour les romans, je n'ai gardé en mémoire que des sensations de lecture. Et Justement, j'en garde un souvenir particulièrement agréable, celui d'une lecture plaisante, d'un bon roman d'aventures un peu dans l'esprit de "L'Île au trésor". Une petite remarque au passage : je crois que le "mystère" et la "poésie" peuvent très bien se concilier avec "l'horreur". C'est d'ailleurs le "mystère" et la "poésie" qui caractérisent dans mon souvenir ces "Aventure d'Arthur Gordon Pym".

    Bref, il apparaît bien que j'ai ressenti des sensations inverses de celles que vous avez éprouvées, ce "léger mais constant malaise physique". Le terme "léger" n'est du reste pas adéquat si j'en juge par les symptômes que vous décrivez : "oppression thoracique, perte de repères, fébrilité, nuits agitées, etc". Putain, vous avez pris cher, cher Laconique ! Seriez-vous devenu trop fragile émotivement ? En tout cas c'est amusant, comme je l'expliquais plus haut, je n'ai, pour ma part, pas gardé le moindre souvenir de l'aspect "horrifique" !

    Certainement que l'on devient plus sensible en vieillissant et que ce livre vous aurait moins ému si vous l'aviez lu lorsque vous étiez encore innocent et contempliez de vos yeux béats et brillants d'illusions un monde empli de promesses et d'immaculés culs rose bonbon de pures princesses offertes... Non, ce n'est pas un hasard, cher Laconique, si, du temps de votre prime et candide jeunesse, vous vous envoyiez sans souci un "Shining" ou un "Sac d’os" ! Maintenant, et c'est sans doute ça qui devrait vous effrayer le plus, le "monde hostile" trouve écho en vous...

    Sinon, concernant votre remarque du premier paragraphe, elle est très juste, je n'en rajouterai pas plus sur le sujet. Simplement, pour finir, j'aimerais bien que vous m'en disiez plus sur la qualité de l'ouvrage de Poe, vous ne dites pas ce que vous en pensez d'un point de vue littéraire et strictement artistique. Est-ce brillant et réussi ? Moi je trouve ce Poe très bon et ne peut que regretter qu'il ait si peu produit...

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  2. Eh oui, cher Marginal, je reviens au cœur du sujet, à la critique littéraire, mais bon, je ne m’en suis jamais vraiment éloigné non plus…

    C’est vrai que Poe est souvent une lecture d’adolescents, moi-même je l’ai lu et beaucoup apprécié à cet âge, surtout les « Nouvelles histoires extraordinaires » que j’ai dû lire au moins dix fois. Mais pour le coup, je dois le dire, vos impressions de lecture des « Aventures d’Arthur Gordon Pym » diffèrent des miennes, je ne vais pas le nier : putain, l’histoire d’un mec enfermé dans une cale, qui manque de mourir de faim et de déshydratation, qui manque de se faire bouffer par son chien, qui sort pour découvrir que tout l’équipage a été trucidé par une mutinerie, ensuite le navire est pris dans une tempête, les quatre survivants sont obligés de tirer à la courte paille lequel sera mangé par les trois autres, ils voient passer un navire rempli de cadavres en putréfaction et dévorés par les vautours, le tout décrit avec un luxe de détails, c’est vrai que je n’ai pas trop vu la poésie là-dedans !

    Mais vous pointez, avec votre pertinence coutumière, un enjeu effectivement central, à savoir l’effet des périodes de la vie sur la réception des œuvres artistiques. Il est vrai que quand j’étais jeune j’enchaînais les Stephen King, je les ai à peu près tous lus en quelques mois avec une candeur de premier communiant (à part « Simetierre », le seul qui m’ait vraiment foutu les jetons). Aujourd’hui, cela ne se passerait sans doute pas ainsi. J’ai réfléchi à la question, et j’ai trouvé deux explications qui se rejoignent et qui expliquent entièrement, à mon sens, le phénomène. La première est que, lorsque j’étais ado, je lisais les livres de façon naïve. Depuis, j’ai fait, notamment via Plutarque, de l’étude de la nature humaine un de mes principaux sujets de préoccupation. Je ne lis plus un livre pour l’histoire, mais pour élucider le rapport singulier d’un homme à l’existence. Ainsi, j’ai lu tout Proust à vingt ans, et je ne pourrais plus le faire aujourd’hui, tout simplement parce que la personnalité de Proust ne me semble pas foncièrement saine. Or la personnalité de Poe était très tourmentée, il était alcoolique, il est mort une nuit d’octobre après plusieurs jours d’errance éthylique. J’ai développé une très grande sensibilité pour déceler une personnalité à travers ses écrits, et la lecture est pour moi une fusion avec une personnalité. Eh bien je vous le dis, fusionner avec la personnalité et le destin de Poe, ce n’est pas tout rose. Et je crois que vous ne pouvez pas me critiquer là-dessus, merde, vous êtes le premier à trouver la lecture de ce chef-d’œuvre absolu qu’est « Adolphe » pénible sous prétexte que sa vision des rapports hommes-femmes s’ajuste mal avec un comportement lucide et sain ! Le deuxième facteur m’apparaît avec la limpidité du cristal, mais je ne vais pas insister car je sais que vous n’êtes pas fan de ces considérations. Disons seulement que lorsque j’étais ado et accro à Stephen King, le président de la République s’appelait François Mitterrand et le ministre de l’éducation nationale s’appelait François Bayrou. Depuis neuf ans, et sans que vous n’ayez rien fait pour l’empêcher (je le dis à regret), ce sont des personnages instables, hypocrites, veules et méprisables qui ont le destin de la France entre leurs mains. Lire un roman d’horreur sur une plage ensoleillée, c’est sympa, lire un tel roman sur le Titanic en train de couler c’est autre chose. Bon, je n’insiste pas, l’iceberg est en vue de toute façon, même vous, cher Marginal, vous aurez du mal à le nier sur ce coup-là… (Sinon pour les symptômes j’ai un peu exagéré, je savais que ça allait vous plaire !)

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  3. C’est vrai que je n’ai pas trop abordé l’aspect purement littéraire du livre. Disons que j’ai été un peu rebuté par le style très dense, très détaillé, plein de termes marins, mais qui ne dépasse jamais vraiment le cadre purement anecdotique des événements. Aucune philosophie, aucune métaphysique derrière cette succession d’horreurs. Mais c’est vrai que du point de vue de l’imagination c’est très riche, très original, surtout la deuxième partie au pôle sud, pas étonnant que ce soit devenu culte !

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  4. Cher Laconique,

    J'ai découvert votre site voilà quelques semaines et depuis, c'est en silence que je le lis et guette avec impatience l'arrivée d'un nouveau billet ! J'ai eu bien des fois l'occasion de commenter certains articles qui m'avaient enthousiasmée au plus haut point mais, fidèle aussi à la réserve qui est la mienne sur Internet, j'avais alors à chaque fois su réprimer mes élans, décidant que ce serait en kunoichi que je parcourrais Le Goût des lettres.

    Or, votre billet sur cet atroce livre qu'est "Les Aventures d'Arthur Gordon Pym" a fait remonter en moi de douloureux souvenirs : celui de la lecture de ce livre, justement. C'était en 2007, et je m'étais empressée d'acquérir l'unique roman de Poe, sans doute séduite par l'aventure maritime qu'elle promettait, en même temps que par le tableau choisi par Le Livre de Poche pour illustrer la première de couverture (celle-là même qui pare votre article) : "Scène de naufrage" par Louis-Philippe Crépin.

    Vous décrivez avec brio le malaise et les symptômes physiques que vous avez éprouvés à sa lecture : j'ai éprouvé les mêmes choses que vous, et aujourd'hui, je suis en mesure d'affirmer que c'est la seule et unique fois qu'un livre m'a fait me sentir aussi mal (!).

    "Arthur Gordon Pym" est un roman psychotique et pervers. Psychotique, parce que Poe y a matérialisé les angoisses les plus primitives de l'être humain : celles de l'annihilation, du démembrement par la dévoration et l'enterrement vivant. Vous devez vous souvenir de la scène où Pym est coincé sinon étouffé dans la cale ténébreuse du brick, dont il ne peut s'extraire car des objets encombrants l'en empêchent (si ma mémoire est bonne) ; ici, l'on pense à un être vivant enfermé dans un cercueil. La scène du cannibalisme, aussi, rappelle cette angoisse reptilienne au possible : être dévoré et donc, être "enterré" dans le corps de quelqu'un d'autre. La mer infinie que la tempête déchaîne est aussi un lieu d'engloutissement, un lieu "ouvert" cette fois-ci, contrairement à un cercueil, ce qui n'enlève rien cependant à son caractère terrifiant et létal. Il n'y a aucun moyen de s'en sortir : même le Ciel dont on serait tenté d'implorer la clémence envoie la tempête meurtrière...

    Pervers aussi parce que comme vous l'écriviez, tout ce cauchemar est voulu par le jeune Pym, même si lui-même ne le sait pas consciemment. Mais tout fonctionne comme si cette pulsion d'autodestruction l'habitait depuis son plus jeune âge et que le voyage en mer était une manière de concrétiser son délitement psychique et physique fatalement, nécessairement programmé par son inconscient. Pym vit pour se suicider. D'ailleurs, Poe n'a t-il pas écrit un livre appelé "Le Démon de la perversité" ("The Imp of the Perverse"), qui détaille ce processus psychique ?

    Finalement, "Arthur Gordon Pym", c'est ça : un solipsisme psychotique, poussé à son ultime degré ; une régression dans les strates les plus archaïques et préhistoriques de la psyché humaine. Je suis ainsi en chœur avec vous lorsque vous écrivez : "Tout cela se ramène, cette fois encore, à l’unique problème de la gestion du discours intérieur." Hum, je crois du reste que le Livre de Poche aurait tout intérêt à remplacer le tableau de Crépin par celui d'Alfred Kubin, intitulé "Le Pôle Nord" (cf. Google). Nul doute que ça collerait mieux à l'histoire, et surtout à sa fin... au Pôle Sud.

    Et c'est tout comme vous d'ailleurs Laconique que moi non plus, je ne lis plus de livres pour la simple histoire, pour la simple évasion imaginative, mais bien "pour élucider le rapport singulier d’un homme à l’existence", comme vous le dites si bien.

    Au plaisir !

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  5. Je me permets de corriger une phrase de mon premier commentaire : "J'aurais pu à de nombreuses reprises commenter certains articles qui m'avaient enthousiasmée au plus haut point mais, fidèle à la réserve qui est la mienne sur Internet, j'ai su à chaque fois réprimer mes élans, décidant que ce serait en kunoichi que je parcourrais Le Goût des lettres."
    Je ne crois pas cependant que cette seconde version soit parfaite (l'esprit sain de Bernard Pivot n'est pas descendu sur moi), mais elle me semble meilleure que la première !

    Je souhaitais également ajouter avec malice que finalement, "Les Aventures d'Arthur Gordon Pym" nous permettent d'élucider le rapport singulier qu'avait Poe à l'existence ;) .

    Tout de même, je lis le résumé que vous avez fait des mésaventures du jeune Pym dans votre premier commentaire et je ne peux m'empêcher de rire cyniquement de son atroce destinée : ce mec a sacrément la loose ! Merci de me rafraîchir ainsi la mémoire, même sur un livre aussi peu ragoûtant.

    Bien à vous.

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  6. Ma foi, voilà un commentaire qui fait plaisir, qui vise droit dans le mille ! Vous avez parfaitement saisi toutes les implications latentes et psychologiques du roman de Poe, et vous les exprimez avec une aisance et une clarté tout à fait réjouissantes ! Ça fait plaisir de voir qu’il y a encore des gens qui savent lire et écrire à notre époque !

    Pour tout vous avouer, j’ai failli ne pas aller jusqu’au bout de ces « Aventures d’Arthur Godon Pym ». C’était l’hiver, et j’avais l’impression de m’enfoncer doublement dans les ténèbres avec ce livre. Mais je me suis forcé, parce qu’il m’intriguait, que c’est un livre culte, et que je compte dans un avenir plus ou moins éloigné lire « Les Montagnes hallucinées » de Lovecraft qui s’en est plus ou moins directement inspiré. Le problème n’est pas tant l’horreur des situations, mais comme vous le dites, le « solipsisme psychotique poussé à son ultime degré ». C’est un ouvrage à la première personne, et on est pris en otage par la psyché du narrateur, psyché tourmentée, attirée par les abîmes et l’autodestruction. « Une destinée à laquelle je me sentais, pour ainsi dire, voué », est-il explicitement précisé au début de l’ouvrage. Par ailleurs, la hantise d’être enterré vivant est vraiment un thème majeur chez Poe, comme je me souviens de l’avoir lu quelque part, on le retrouve dans « Le Chat noir », « La Barrique d’Amontillado » et sans doute dans d’autres de ses récits. Je ne connaissais pas Le Pôle Nord d’Alfred Kubin, mais grâce à Google j’ai pu constater qu’il conviendrait en effet parfaitement au livre de Poe, notamment parce qu’il évoque cette mystérieuse « figure humaine voilée » de proportions gigantesques qui apparaît à la dernière page du roman.

    En tout cas votre commentaire me rassure et me prouve que je ne suis pas le seul à avoir éprouvé ces sensations, que ce n’est pas le fruit d’une hyper-sensibilité pointée par Le Marginal qui serait en cause, bref que je ne suis pas devenu une fiotte !

    Et vous êtes la bienvenue ici, Flint, en « kunoichi » ou ouvertement. Je m’égare parfois dans des délires un peu personnels, et tous mes articles ne valent sans doute pas un commentaire. Mais si l’un d’eux trouve écho en vous, positivement ou négativement, n’hésitez pas à le faire savoir ! Ou mieux encore, partagez vos émotions de lecture sur votre propre blog (si ce n’est pas déjà le cas), et je ne manquerai pas de lui rendre visite. Il est rare de voir des livres commentés avec finesse de nos jours, et puisque nos élites ne lisent plus, c’est à nous de le faire et de le faire savoir…

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  7. Je suis heureuse de lire que mon commentaire a fait écho en vous et je vous remercie de l'avoir doublement complété par le vôtre, en plus, bien sûr, de votre billet !

    Moi non plus, à l'époque, j'avais failli ne pas terminer le livre. Naïve que j'étais, je pensais qu'un dénouement plutôt heureux finirait par se manifester à un moment ou un autre de l'intrigue. Je savais que j'avais affaire à Poe, certes, mais je ne pouvais me résoudre à ce que l'intrigue continue et se termine dans l'horreur la plus complète. Alors j'ai persévéré... mal m'en a pris. Aujourd'hui, je ne ferais plus la même erreur. Un livre, un film me fait me sentir physiquement et moralement mal : j'arrête. C'est que l'on grandit en 10 ans, puis j'avais 17 ans, et l'on n'est pas sérieux quand on a 17 ans, comme l'écrivait le sieur Rimbald'. Je me souviens en outre de cet ami cinéphile qui m'avait prise pour une chochotte alors qu'il me faisait découvrir le film "Jeepers Creepers", il y a au moins 3 ans de cela. Dès les premières minutes du film, j'ai ressenti un malaise tel que j'ai dû quitter le salon, en fermer la porte et me boucher les oreilles pour ne plus rien voir ni entendre du film. J'ai finalement décidé de ne pas gâcher la soirée à laquelle cet ami m'avait conviée, et je suis revenue voir le film lorsque celui-ci atteignait à peu près sa moitié, jusqu'à la fin. Mais j'ai douillé. Il n'a pas compris que l'ambiance malsaine de ce film très réussi (je le reconnais) jouait terriblement sur mes nerfs, et que nous n'avions pas la même manière de percevoir et de recevoir l'horreur, surtout si elle est aussi savamment mise en scène.

    Pour en revenir au livre de Poe, si l'on faisait de la psychanalyse à l'emporte-pièce, l'on pourrait dire que cette hantise de l'enterrement vivant est un désir de retour à la Mère, à l'archaïque, à la fusion fantasmatique avec le Tout originel, et donc finalement, un désir de mort. Dans le roman, je crois que cette "figure humaine voilée" symbolise finalement l'arrivée au bout du voyage : la mort. Mais c'est une interprétation subjective, je vous l'accorde.

    Vous savez, je crois que nombreux sont les gens à savoir encore lire et écrire de nos jours. Simplement, ce ne sont pas ceux-là qui font le plus de bruit -- l'on pourrait même dire "de buzz". Je crois même que beaucoup d'entre eux sont discrets, pour ne pas dire laconiques ;) , que ce soit sur Internet ou dans la vie "réelle" :) . Je pense qu'être lettré nous apprend l'art de la discrétion et de la réserve, qui sont autant de vertus. Puis il y a aussi la question de la visibilité qui est en jeu : un site comme le vôtre, fait par un lettré comme vous, rencontrera bien moins d'audience qu'un site causant de toute la (très) mauvaise littérature de notre époque, tant vantée par les médias...

    Je possède aussi un blog (privé, car mon très modeste travail a déjà connu le plagiat !), qui tourne autour de la littérature et de délires un peu personnels également, mais quoi de plus sain pour la santé :D ? Je pourrai bien sûr vous en donner l'accès, quoiqu'il me faille votre adresse mail pour cela. Par ailleurs, mon hébergeur (Canalblog) étant exigeant, l'accès à un blog privé ne dure que 30 jours si l'invité n'a pas de compte Canalblog.

    Vous avez raison : c'est à nous que revient la noble mission de transmettre le goût et l'art de la lecture et de la littérature (la vraie, la bonne, quoique je ne sois pas une puriste manichéenne et passéiste, fossilisée dans son aigreur de voir la littérature classique ainsi abandonnée et décriée par le plus grand nombre), puisque nos "élites" ne le font pas, ou plus.

    Révérences du Capitaine S. Flint.

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  8. Je me souviens de ce film, « Jeepers Creepers », j’avais bien aimé l’ambiance ! Il n’est pas tout récent, je me souviens de l’avoir vu il y a un bout de temps, pendant les années Chirac. Internet n’existait même pas à cette époque. Ça paraît si loin, tout était différent, c’était le bon vieux temps ! Moi j’essaie quand même d’aller au bout, film ou livre, c’est très rare que j’abandonne avant la fin. Si vous voulez voir un film vraiment effrayant, essayez « Martyrs » de Pascal Laugier, c’est une vraie torture. J’ai un ami particulièrement pervers qui le fait voir à toutes ses conquêtes.

    Je crois que Marie Bonaparte a énoncé cette interprétation des « Aventures d’Arthur Gordon Pym » comme retour à la Mère (du moins si j’en crois Wikipédia). Ça peut se défendre, toute pulsion de mort est un désir de retour à l’origine, à l’indétermination primordiale. C’est le contraire de la Voie du Ciel taoïste, qui elle est « insipide ». Entre Poe et Lao-tseu, je vous avoue que mon choix est fait !

    Oui, beaucoup de gens savent encore lire et écrire, Dieu merci ! mais ce ne sont plus des aptitudes mises en valeur par la société, pas plus que la réflexion ou la réserve. D’où la perpétuelle schizophrénie à laquelle on nous condamne, entre les valeurs humanistes intemporelles et les clés du succès dans la société d’aujourd’hui.

    Vous avez une vraie plume, et ça ne m’étonne pas que vous écriviez. Je vous remercie pour votre confiance, je serais curieux de lire vos analyses littéraires et vos « délires personnels ». Cela m’étonne un peu quand même que vous gardiez ça en mode « privé », normalement quand on écrit c’est pour le faire partager, Internet est fait pour ça... Si vous voulez me transmettre les coordonnées, vous pouvez le faire à l’adresse suivante : legoutdeslettres@gmail.com. Et pour l’audience, la visibilité, je crois que ces choses-là ne représentent plus rien à notre époque sur internet, il n’y a qu’à voir sur Twitter, c’est totalement indépendant de la qualité. Au plaisir de vous lire, dear Captain Flint !

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  9. Ah la la, non, par pitié, pas de film "vraiment effrayant" pour moi, je suis une véritable traumatisée de la vie *rires*, et à la limite, si des films à mi-chemin entre le fantastique et l'épouvante peuvent me plaire et ne pas me faire prendre mes jambes à mon cou, je suis en revanche incapable de regarder des films d'horreur pure. "Jeepers Creepers" me l'a d'ailleurs fait comprendre pour de bon. Du coup, afin de rendre plus objective ma sensibilité, je préfère dire que je ne goûte tout simplement pas le genre. D'ailleurs, en matière de littérature, je n'ai jamais voulu toucher à Lovecraft ou à tout autre auteur du même genre, surtout après mon expérience gordon-pymienne...

    La psychanalyse (que je défends sans tomber dans le fanatisme, car elle a aussi son lot d'impostures et de masturbation intellectuelle en matière de théories pompeuses) a vu juste en effet sur la pulsion de mort comme retour au commencement, à "l'avant la naissance", de même qu'à la relation fusionnelle qui s'établit entre le fœtus ou le nouveau-né et la mère, et qui rappellent, en effet, pour reprendre votre terme, "l'indétermination primordiale" de la non-existence. Éros et Thanatos sont si proches...

    Je crois qu'il faudrait être fou pour choisir Poe au lieu de Lao-tseu ;) ! Il y a d'ailleurs, chez les Occidentaux, une culture de la mort qui me déplaît grandement, faite de mauvais restes de dolorisme chrétien, de masochisme mal placé et d'une incapacité presque congénitale à vivre en accord avec la Nature... dont la mort fait partie, légitimement. Ainsi, je pose que cette distinction toute occidentale entre la Nature et la Culture est quelque chose qui nous empoisonne depuis des siècles. Nous faisons de la mort une chose si terrifiante et si triste qu'elle en devient une représentation ("phantasia", diraient les stoïciens) qui nous empêche de vivre pleinement au quotidien. Il n'y a qu'à voir la gueule de nos cimetières ! Cela donne envie de se pendre... Je les appelle des "HLM pour les morts". Je serais cependant hypocrite si je n'établissais pas un lien entre mon propre effroi devant la mort et ma détestation des films d'horreur. C'est sans doute pour cette raison que mon être s'achemine de plus en plus naturellement vers les pratiques philosophiques d'Asie.

    Vous avez raison, nous vivons dans une société schizophrène où, notamment, le conflit entre vita contemplativa et vita activa est exacerbé au plus haut point. Et je pense que ce sont les contemplatifs de nature qui s'en sortent le moins bien, hélas... Je repense en ce sens à l'un de vos billets, que j'avais adoré, intitulé je crois "Culture et volonté".

    Je vous envoie donc un lien d'accès à mon blog, qui, à force de mutilations depuis 2007, a fini par devenir un joyeux fourre-tout tournant autour de la littérature, sans être cependant à proprement parler un blog d'analyses littéraires. Il y en a, mais peu. En matière d'écriture et de chroniques de livres, je fus jadis fort prodigue, mais un perfectionnisme maladif m'a fait détruire une bonne partie de ce que j'avais écrit. Je ne regrette rien : c'était un processus de maturation nécessaire. Vous avez raison : Internet est fait pour la transmission et le partage, mais ma faconde scripturale m'a valu plus d'expériences désagréables que de bonnes. Ma lassitude ayant fini par devenir conviction, j'ai fini par me rendre invisible. Et vous savez quoi ? J'aime ça :D !

    Bien à vous.

    PS. Twitter, c'est l'histoire d'un oiseau qui vole au ras des pâquerettes...

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  10. Lovecraft c’est pas mal du tout quand même, et c’est justement un des seuls auteurs d’horreur que je lis encore avec plaisir. Je ne vais pas développer ici, mais les ressorts sont totalement différents de ceux de Poe. Chez Poe il y a perturbation des données sensorielles, et irruption du fantastique dans une psyché pathologique. Lovecraft lui est un positiviste, farouchement matérialiste, et ses récits sont des enquêtes, parfois presque des exposés de biologie. Pour le lecteur c’est beaucoup moins violent, je pourrais le lire le soir et dormir d’un sommeil de bébé après ! Bon, je ne vous le conseille pas pour autant, c’est quand même très sombre…

    La mort est un vaste sujet, c’est le cas de le dire ! Je ne partage pas tout à fait vos réflexions à ce propos. Le problème de notre société à mon avis, c’est justement qu’elle refoule cette question, qu’elle la relègue dans les cimetières et dans les actualités anxiogènes, et qu’elle considère qu’il ne doit y avoir aucun rapport, aucune continuité, entre la vie et ce qui suit. D’où un problème proprement insoluble : la seule chose inévitable est en même temps la seule que nous désirons par-dessus tout éviter ! Il y a de quoi devenir fou, et cela rend fous pas mal de gens en effet… D’autres sociétés, comme l’Egypte antique, le Moyen-Âge, l’Orient, avaient un rapport beaucoup plus sain à tout ça.

    Je vais regarder avec intérêt votre site, et je vous remercie pour votre confiance. Je crois qu’il faut prendre tout ça comme un jeu. Toute cette réalité virtuelle conduit à des comportements souvent déroutants, ce ne sont pas les gens qui sont en cause, mais le média lui-même. Ça conduit à l’impulsivité, au zapping, au défoulement gratuit, etc. Il faut l’accepter et agir en conséquence, ne pas avoir trop d’attentes surtout. Mais quand on le fait avec recul et authenticité, on peut avoir de très bonnes surprises, et entrer facilement en contact avec des gens vraiment intéressants qu’on aurait pas pu croiser autrement. Moi-même j’en ai fait maintes fois l’expérience ! Bon, vous voyez, votre faconde déteint sur le laconique que je suis :-) !

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  11. Avec Lovecraft, je n'ai jamais su sur quel pied danser : le lire, ou pas ? J'en ai une anthologie à la maison (qui ne m'appartient pas), mais je ne parviens décidément pas à l'ouvrir pour ne serait-ce que lire quelques pages, histoire de "prendre la température" comme l'on dit.
    Je vous remercie en tout cas pour m'avoir indiqué ces nuances entre Poe et Lovecraft, que je ne connaissais pas.

    Je vous rejoins bien sûr dans votre analyse du rapport que notre société a à la mort. Et justement oui, ce refoulement et cette rupture de continuité ont pour conséquences nos tristes cimetières et nos actualités anxiogènes, faisant ainsi de la mort quelque chose de terrifiant, et nous poussant encore plus à la refouler, et ainsi de suite dans un cercle vicieux. Toutes les choses normales et naturelles que nous refoulons d'un côté finissent de toute façon par revenir d'un autre côté -- celui auquel l'on tourne le dos justement -- et sous une forme pervertie.

    Le "virtuel" (qui n'est qu'une modalité du "réel") escamotant la dimension physique des individus, il conduit bien sûr à des comportements primaires (reptiliens), et à la chosification du rapport à autrui. Mais je sais moi aussi d'expérience que les rencontres authentiques et durables y sont possibles :) . Cependant je crois simplement que nous avons tous des manières différentes d'apprivoiser le grouillement permanent de tentations, d'infos et de conflits usants et vains auquel le web nous soumet. Mon blog est fait pour être lu, mais je n'ai aucune attente particulière en ce sens. Peu de personnes y ont accès, et si elles ne le lisent pas, je ne me sens pas frustrée outre mesure. La liberté n'est pas un vain mot chez moi. Quoiqu'il en soit, merci de votre intérêt :) .

    Sinon, vous savez quoi ? Je pense que vous être bien plus prolixe que vous ne le laissez paraître de prime abord ;p .

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