Lu Souvenirs d’un pas grand-chose (Ham on rye), l’autobiographie de Charles Bukowski. Il est frappant de constater comme, chez Bukowski, la logique de l’écriture a pris le pas sur celle de la mémoire. Tout l’ouvrage est constitué de dialogues caustiques et de situations délirantes dont on sait pertinemment qu’ils n’ont pas pu avoir lieu tels quels. Ce qui intéresse Bukowski, ce n’est pas de restituer les faits avec exactitude, mais c’est de produire un texte valable, lisible, percutant. L’écrivain a pris le pas sur l’homme, et la littérature sur la vie. On trouve une démarche opposée chez Gide, qui, par un souci de probité poussé à l’extrême, a subordonné, dans Si le grain ne meurt, les exigences de l’art à celles de la véracité, préférant être parfois un peu rébarbatif et pointilleux plutôt qu’inexact.
Dans le livre de Bukowski, je relève le passage suivant :
« Tous ces gens n’arrêtaient pas de s’extasier sur la saine odeur de la sueur ! (…) La saine odeur de la merde fraîche, ils n’en parlaient jamais. Et pourtant, il n’y avait rien d’aussi fantastique qu’une bonne merde à la bière – enfin, je veux dire : celle qu’on chie après bu vingt à vingt-cinq bières la veille au soir. L’odeur que ça dégage se répand à la ronde et ne disparaît pas avant une bonne heure et demie : ça vous redonne l’impression d’être vraiment vivant. » (p. 329.)
Je serais curieux de lire l’analyse d’un Roland Barthes ou d’un Gérard Genette sur la fonction narratologique ou sémiologique d’un tel passage. Il me semble que la sexualité et la scatologie ont pour but, chez Bukowski, de saboter de l'intérieur l'édifice social jugé insupportable. Ces éléments font presque toujours irruption dans des cadres professionnels oppressants, ou au sein de regroupements semi-mondains vécus comme artificiels et factices. Il y aurait sans doute une étude détaillée à produire sur cette question.
Dans le livre de Bukowski, je relève le passage suivant :
« Tous ces gens n’arrêtaient pas de s’extasier sur la saine odeur de la sueur ! (…) La saine odeur de la merde fraîche, ils n’en parlaient jamais. Et pourtant, il n’y avait rien d’aussi fantastique qu’une bonne merde à la bière – enfin, je veux dire : celle qu’on chie après bu vingt à vingt-cinq bières la veille au soir. L’odeur que ça dégage se répand à la ronde et ne disparaît pas avant une bonne heure et demie : ça vous redonne l’impression d’être vraiment vivant. » (p. 329.)
Je serais curieux de lire l’analyse d’un Roland Barthes ou d’un Gérard Genette sur la fonction narratologique ou sémiologique d’un tel passage. Il me semble que la sexualité et la scatologie ont pour but, chez Bukowski, de saboter de l'intérieur l'édifice social jugé insupportable. Ces éléments font presque toujours irruption dans des cadres professionnels oppressants, ou au sein de regroupements semi-mondains vécus comme artificiels et factices. Il y aurait sans doute une étude détaillée à produire sur cette question.
Aaaah, cher Laconique, vous revoilà ! Quel plaisir ! Un plaisir d'autant plus grand que vous mettez ce bon vieux Buk à l'honneur ! Vos innombrables lecteurs ainsi que moi-même vous en sommes reconnaissants. Il me semble d'ailleurs que vous avez déjà auparavant abordé l'œuvre de cet auteur, mais j'ai eu beau parcourir votre plaisant Goût des lettres je n'arrive pas à mettre la main sur un tel article... En tout cas je ne peux m'empêcher de commenter votre nouveau texte, bien qu'il soit déjà une heure avancée de la nuit. Ah, cher Laconique, dans quelle perdition ne m'entraînez-vous donc pas !
RépondreSupprimerBon, je vais faire court, même si votre texte est intéressant et surtout très sympa. Je ne me rappelais pas le passage que vous citez, et pourtant il aurait mérité de se graver dans ma mémoire défaillante tant il est excellent. Il faut dire aussi que les "dialogues caustiques", les "situations délirantes" et les moments d'anthologie ne manquent jamais avec ce bon Vieux Buk ! Pour ma part, la scène qui m'est restée dans ce "Ham on rye" est celle d'un Buk encore jeune se trouvant dans la cuisine d'un ami et s'astiquant en toute simplicité le manche avant d'envoyer la sauce dans une bouteille de lait qu'il a eu soin de prendre dans le réfrigérateur. Ah, ce sacré Buk, quel blagueur !
Il est évident que "ce qui intéresse Bukowski","c’est de produire un texte valable, lisible, percutant", ce qu'il affirme à plusieurs reprises dans son œuvre. Il refuse d'ennuyer le lecteur, souhaite de la vivacité et accorde beaucoup d'importance au style.
Cependant, je ne mettrais pas ma main au feu qu'il travestisse tant que ça la réalité. Certes, il ne retranscrit certainement pas les faits "avec exactitude", ce qui me semble impossible dans une démarche autobiographique, même pour Gide et son "souci de probité poussé à l’extrême", mais je ne serais pas étonné qu'il ait réellement vécu les situations qu'il rapporte.
Si Bukowski s'applique littérairement à "saboter de l'intérieur l'édifice social jugé insupportable", nul doute, si voulez mon avis, qu'au vu de sa personnalité iconoclaste, subversive, libertaire et décomplexée il s'y est employé avec rigueur dans la vie réelle. Puis c'est un être authentique, pas sûr qu'il triche tant que ça avec son lecteur !
En tout cas, ce qui est sûr, c'est qu'il nous régale toujours, ce Buk, à briser toutes les barrières et à envoyer chier toutes les conventions sociales. Sa lecture est libératrice !
Eh oui cher Marginal, avec Bukowski j’empiète un peu sur vos plates-bandes. Mais c’est un auteur que j’apprécie vraiment, j’ai lu presque tous ses ouvrages publiés en français et je crois qu’à terme je les lirai tous. D’ailleurs vos souvenirs ne vous ont pas trompé puisque j’ai en effet consacré deux ou trois articles à cet auteur, dont un intitulé Bayrou et Bukowski dans lequel j’établis un parallèle entre ces deux natures authentiques et courageuses.
RépondreSupprimerIl est sympa ce « Souvenirs d’un pas grand-chose » ! Le passage dont vous vous rappelez m’a fait marrer aussi. Le point que vous soulevez sur la fidélité potentielle d’une autobiographie mériterait un ample développement. Pour approfondir un peu, je ne pense pas vraiment que Bukowski triche, qu’il invente complètement les faits, mais je persiste à penser que chez lui la logique de l’écriture est assez indépendante de celle de la mémoire. Les faits réels servent de matière première, mais c’est l’écriture du moment, avec ses inspirations et ses fulgurances, qui prime. Les dialogues dans ce livre sont incroyables, très précis, très drôles, c’est impossible que ce soit une pure transcription de la mémoire. D’ailleurs en fouillant sur ce site j’ai retrouvé un vieil article où je soutenais justement à propos de Bukowski que chez lui « l’écriture est une puissance de transfiguration de la réalité ». Cinq ans après c’est exactement ce que je pense, je ne choisirais pas une autre formule. Mais comme vous dites, de toute façon il est « impossible » de transcrire de manière entièrement transparente un fait passé sans y introduire un peu de la subjectivité présente…
En ce qui concerne le « sabotage de la réalité », à vrai dire ce que j’écris sur Buk pourrait encore mieux s’appliquer à vos fameuses Histoires Sextravagantes, que j’ai justement relues dernièrement. C’est exactement ça, vous introduisez du cul dans les situations les plus inappropriées, dans une salle de classe, un ascenseur, une salle de jury de concours, etc. Ma préférée reste « Le mandrill », elle est vraiment culte celle-là, elle s’est gravée dans ma mémoire dès le jour où je l’ai lue pour la première fois. Il faudrait la faire lire à Najat Vallaud-Belkacem ! Mais comme je suis un critique toujours objectif, je dois dire qu’elles ne sont pas tout à fait parfaites ces nouvelles. Elles sont un peu juvéniles parfois. Et puis il y a un aspect qui m’est apparu et qui me gêne un peu, c’est leur côté un peu caricatural, en particulier en ce qui concerne l’apparence extérieure. Vous êtes sans pitié avec les grosses, les vieilles, les gars coincés avec des « pantalons à pinces », etc. On pourrait presque trouver ça méchant avec le recul, tandis que Bukowski témoigne le plus souvent de l’empathie avec les paumés, les exclus, etc. Mais bon, j’ai bien conscience qu’il faut avant tout voir ça sous l’angle de l’humour, et sur ce plan-là c’est réussi, j’ai passé un agréable moment, et j’attends la suite avec impatience !
Bonjour cher Laconique et merci pour ces intéressantes relectures d'auteurs dont je m'étais privée par négligence, croyant gagner du temps mais j'ai perdu.Amusant présupposé que "s'extasiant sur la saine sueur"...Une remarque fort peu sociologique mais argument d'expérience, quand on aime les sécrétions les plus abjectes n'importunent pas , voire pire, hélas l'inverse est aussi vrai.Je ne généraliserais donc ni sur la sueur , ni sur la merde et aurais eu grand plaisir à m'engueuler entre autres à ce propos avec Bucco...
RépondreSupprimerÇa faisait longtemps chère Orfeenix ! Ravi de vous revoir ici. On ne perd jamais son temps à lire Bukowski. Les sécrétions de tout ordre jouent en effet un grand rôle dans sa production, de même que l’ambroisie et autres liqueurs corporelles dans la vôtre. Bukowski le fait avec moins de classe, mais là ce passage m’a fait rire et je n’ai pas pu résister à la tentation de le publier…
RépondreSupprimerCe n'est pas un grand hommage, mais c'est votre citation qui me l'a inspiré celui-là:
Supprimerhttp://galaterato.blogspot.fr/2016/06/quand-tu-skies-au-frais-nid.html
Je ne sais pas si c’est votre esthétique qui déteint sur moi ou la mienne sur la vôtre, mais il est très sympa ce poème. Vous ne dites jamais non au poison et ça vous inspire des vers très capiteux !
SupprimerEn revanche, vous, cher Laconique, ne dites jamais non à envoyer le poison... enfin, le poison, la purée quoi !
SupprimerLol. Vous me faites marrer, cher Marginal ! Ça devient n’importe quoi ce site…
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