15 juin 2016

La vie et la mort au musée du Louvre


       Il y a quelque temps, je suis allé au musée du Louvre afin de trouver ce qui pouvait survivre au passage des siècles. J’ai passé là-bas un long moment et j’ai vu beaucoup de choses. Je quêtais sur les visages de marbre l’expression humaine de l’immortalité. En ce qui concerne les femmes, j’ai surtout vu des vierges. Des vierges chrétiennes, des vierges grecques. Même les Vénus arboraient une expression impassible et hiératique, digne du matériau qui les constituait. J’ai ensuite regardé les hommes, et j’ai vu sur toutes les faces la même expression : un visage dur, fermé, souverain, que ce soit chez Ramsès II, chez Auguste ou chez Bonaparte. Pour finir, j’ai regardé autour de moi, et j’ai vu un tout autre spectacle : des chairs juvéniles, des émotions fugaces, des hormones à fleur de peau. J’ai vu aussi des corps chenus, des vieillards, des impotents. Et il m’est apparu alors que deux choses seulement pouvaient transcender le temps : la chasteté, la maîtrise de soi. Tout le reste, toute cette efflorescence joyeuse, était soumis à l’empire du changement, du vieillissement, de la souffrance et de la mort. 
       Ah ! je vous ai bien compris, Egyptiens, Sumériens, Grecs, Romains ! Depuis cinq mille ans vous n’avez pas vécu et vous n’êtes pas morts pour rien ! Vous m’avez enseigné la meilleure des voies, la seule des voies. Elle est aride et escarpée, mais je tâcherai de la suivre, et j’espère en retour obtenir moi aussi ce bien que vous avez acquis et que vous m’avez promis : la vie éternelle.

9 commentaires:

  1. Une visite au Louvre qui vous a inspiré un superbe texte tout en subtilité, sensibilité, et lucidité. J'aime beaucoup le parallèle que vous faites entre la pureté figée pour l'éternité dans le marbre des statues et le prosaïsme de la dure réalité de la vie humaine qui vous entoure. De la comparaison à l'opposition, en passant par un hommage à ces anciens, vous arrivez à les rejoindre par l'évidence de la voie, que leur art, gravé à jamais dans la noble pierre, vous ouvre : comment acquérir la vie éternelle. J'aime votre conclusion par ce qu'elle impose d'idéalité et de noble résolution dans sa réconfortante certitude. Maintenant de là à appliquer...Difficile de conjuguer au quotidien, grandeur des idées et aléas de la vie.
    J'ai eu grand plaisir à vous lire comme d'habitude.

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    1. Eh oui, vous avez mis le doigt dessus, cher ami : ce qui est troublant dans les lieux très nobles et très austères comme le Louvre, Notre-Dame, Westminster, etc., c’est le contraste entre le hiératisme extrême des formes figées dans le marbre et le frémissement de vie des foules qui se pressent autour. On a du mal à croire que ces deux entités représentent la même espèce : l’espèce humaine. Sur le moment, cela crée de l’exaltation, et quand on rentre chez soi, comme vous le dites, il faut gérer le quotidien, faire des concessions avec l’idéal. Mais c’est ça qui est intéressant aussi ! Merci pour ce commentaire, et à bientôt.

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  2. Pfiou, cher Laconique, mon cochon, vous avez "vu des vierges" ! J'espère que vous avez bien profité du spectacle, car à part dans un musée je ne vois pas où vous pourrez en contempler à nouveau. Il faudra effectivement vous contenter "des hormones à fleur de peau" et, pour le dire plus clairement, vous savez que j'adore mettre les pieds dans le plat et appeler un chat un chat, des chattes en feu et ouvertes aux quatre vents, lèvres grasses et écartées à force d'accueillir de bons gros chibres turgescents depuis la préadolescence.

    Ah la la, cher Laconique, écartons-nous vite de ces visions d'horreur, tandis que votre article m'inspire spontanément un cri d'allégresse et d'admiration. Que vous êtes une âme noble !
    J'adore votre idéal, mais le dilemme est toujours le même et j'entends déjà vos innombrables lecteurs protester : à suivre cette "voie aride et escarpée", ne se prive-t-on pas du même coup des saveurs qui constituent cette vie ? À mon avis la réponse est la suivante : il faut avoir des goûts sains, simples et purs, afin, justement, de trouver de la joie hors de cette "efflorescence joyeuse". Ainsi, l'ascète fait repas de roi avec quelques noix et se régale de se coucher sur le raphia qui lui sert de matelas ! Cette société a dévoyé nos désirs et modifié nos sources de bonheur... pour notre plus grand malheur.

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    1. Vous me faites marrer cher Marginal ! Je me répète, mais c’est la vérité, il n’y a rien d’autre à dire ! Modérez un peu votre langage quand même, j’ai des oreilles sensibles, je ne lis pas souvent des choses de ce genre dans Platon ou chez mes autres auteurs favoris...

      En tout cas je vous trouve bien moralisateur, surtout de la part de l’auteur du best-seller Comment rencontrer et séduire la femme de vos rêves ! S’il y a quelqu’un qui pousse à frayer, c’est bien vous, avec votre méthode ultra lucide et sans chichis.

      Quoi qu’il en soit, je ne mérite nullement votre admiration cher Marginal, je m’empresse de le déclarer. Vous savez, même si dans les grandes lignes ça correspond, il ne faut pas toujours prendre pour argent comptant ce que j’écris ici. Le « je » que j’emploie ici est un je littéraire, je m’en sers pour écrire des textes que j’espère divertissants, mais ça n’engage pas vraiment ma personne réelle, qui est bien plus faillible et versatile que « Laconique », lequel n’est au fond qu’une création. Et peut-être en est-il de même pour le Marginal Magnifique, peut-être derrière le révolté au grand cœur il y a un être plus complexe, devant faire plus de compromis. On en est tous là avec cet univers virtuel…

      En tout cas j’apprécie votre idéal de « l'ascète qui fait repas de roi avec quelques noix et se régale de se coucher sur le raphia qui lui sert de matelas » : idéal d’un bonheur simple et accessible que notre société nous a fait perdre de vue. Le truc, c’est qu’on ne peut pas y échapper, à la société, et vous êtes le premier à l’affirmer dans vos textes. Il faut donc composer, jouer sur les deux tableaux, et je crois pouvoir dire – votre commentaire le prouve une fois de plus – que vous êtes un expert en la matière : à la fois doté d’une morale de fer, et théoricien averti des zones les plus troubles des relations humaines. Cela frise presque la schizophrénie chez vous ! Mais c’est la condition de l’homme moderne, il faut être un aventurier, mener sa barque tant bien que mal au milieu l’océan jamais apaisé du monde qui nous entoure…

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  3. Ah la la… J’aurais espéré, cher Laconique, que la visite du Louvre vous eusse amené à vous réjouir de notre merveilleuse peinture romantique du XIXème siècle (David, Delacroix, Géricault…), mais vous êtes incorrigible! Vous aimez les formes achevées. Il y pourtant de la beauté dans le sur-le-vif, dans l’inachèvement… Regardez la Victoire de Samothrace ;) Les bustes de Ramsès ou Bonaparte, c’est de l’art officiel, c’est très lourd… Regardez la peinture italienne, c’est lumineux, léger… Comme Psyché ranimée par le baiser de l'Amour…

    Mais pourquoi diable vouloir de la vie éternelle ? Ce souci des Anciens est aussi déroutant que la soif de longévité des Modernes… Seriez-vous à ce point satisfait de votre existence que vous voudriez la prolonger indéfiniment ? Je vous le souhaite, mais j’ai quelques doutes. Nietzsche semble proche de cette idée avec la pensée de l’éternel retour, mais il s’agit au contraire d’une idée directrice pour la vie terrestre…

    Toujours est-il que ce désir très chrétien me paraît contrevenir aux influences bouddhistes qu’on sent dans le texte… On ne peut pas à la fois chercher la dissolution du moi à la fin du cycle des réincarnations et le salut de l’âme individuelle… Entre Orient et Occident, il faut choisir.

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    1. Eh, cher Johnathan Razorback, mais c’est un commentaire d’esthète que vous nous avez fait là ! J’ignorais qu’en plus de maîtriser les arcanes des mécaniques de pouvoir anciennes et contemporaines vous fussiez également versé dans le domaine artistique… En tout cas vous n’avez pas tort, je me sens bien plus porté vers les imposantes masses antiques que vers la peinture italienne ou romantique. Tout cela me semble bien évanescent, tandis que les Anciens travaillaient pour surmonter l’épreuve des siècles, voire des millénaires. Mais le béotien que je suis va tenter de prendre en compte vos suggestions pour la prochaine fois.

      En tout cas vous avez bien cerné les influences qui m’agitent, puisque je suis en effet tiraillé, en autres, entre l’idéal chrétien et l’idéal bouddhiste. On ne vous la fait pas, vous avez su déceler les sous-textes en présence. Vos remarques me font penser à une phrase culte de « Conan le Barbare » : « Do you wanna live forever ? » Déjà, il faut bien comprendre que, à part pour les Témoins de Jehova, la « vie éternelle » n’est nullement la perpétuation à l’infini de la vie présente. Il s’agit d’une autre vie, d’un autre corps, le « corps glorieux », etc. Mais on entre là dans la théologie. Disons que, à défaut de choisir entre Orient et Occident, j’ai surtout essayé – et puisque vous êtes philosophe vous me comprendrez – de discerner les caractères universels attachés aux représentations de l’éternité. Or quand on regarde des Vierges chrétiennes, des pharaons, des Bouddhas, des empereurs romains, etc., il y a des caractéristiques communes, celles que j’ai soulevées dans l’article. Il est vrai qu’un Nietzsche y verrait l’expression de la morale des faibles, cette fameuse volonté qui au lieu de s’assouvir se retourne contre elle-même. Mais je crois que vous avez compris que je ne suis pas tout à fait nietzschéen…

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  4. Savannah Flint22 juin 2016 à 17:09

    Cher Laconique, un passage chez vous entre deux périodes végétatives, pour saluer votre dernier billet qui est ma foi très inspirant !

    J'aime tout comme vous ces visages "impassibles et hiératiques", qui expriment une force et une détermination quasi surnaturelles, surtout à notre époque où l'on chouine au moindre bobo (moi y compris !), comme l'actualité récente le montre. Cet idéal de maîtrise de soi, non seulement dans les réactions intérieures mais aussi dans l'apparence, a toujours été le mien, même si sans doute pas dans les mêmes proportions ou directions que vous. Je ne crois pas que je l'atteindrai un jour, et puis en effet, c'est difficile de ne pas dévier quand la trivialité et la vulgarité du quotidien nous enserrent, et que l'on doit s'y soumettre également. Je dirais même que c'est encore plus dur de ne pas s'y vautrer lorsque l'on est une femme : les femmes ont plus de contraintes que les hommes, contraintes physiologiques autant que sociales, et sont par conséquent plus tirées vers le bas que les hommes. Leur temps libre pour l'otium est moindre.

    Pour ce qui est des musées en général, j'ai cessé de les fréquenter depuis quelques temps déjà, pour plusieurs raisons. Celle que je retiens avant tout, c'est la foule qui devient pour moi toujours plus insupportable au fur et à mesure que les directions des musées lâchent du lest et que les tripoteurs hystéro-compulsifs de téléphones portables hybrides veulent immortaliser les œuvres exposées (immortaliser l'immortalité, hum, c'est intéressant...). Je me souviens ainsi de ma visite au British Museum, il y a trois ans : c'est immense, c'est entrée libre, et c'est la fête du slip (ça l'est aussi par moments sur votre blog, cher Laconique, si j'ai bien compris, et moi je me marre bien en tout cas !). Les gens stationnent à une certaine distance des œuvres afin de les prendre en photo, formant parfois comme une barrière selon le succès de l'oeuvre ainsi prise d'assaut, vous empêchant de vous en approcher ou de la contempler sous l'angle que vous souhaitez. Ils vous barrent littéralement le chemin et ne regardent même pas autour d'eux quand ils se déplacent, tout obnubilés qu'ils sont par leur prise de vue... Une bonne partie de ma journée s'était passée à éviter ces obstacles humains aussi encombrants que vains. Si je veux faire du slalom, c'est au ski que je vais, pas au musée !

    En tout cas, je ne crois pas que vous aurez perdu au change avec cette visite au Louvre ;) .

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  5. Eh ! Chère miss Flint, heureux de vous voir ici, « entre deux phases végétatives » ! Dans ce que vous dites sur « l’idéal de maîtrise de soi », le mot important est sans doute idéal. Personne ne peut prétendre à une maîtrise de soi absolue, d’ailleurs ce ne serait sans doute pas souhaitable, mais les Anciens avaient la sagesse de transférer cela dans des idéaux, des dieux ou des héros mythiques, qui faisaient partie intégrante de leur existence. Ils pouvaient ainsi relâcher la soupape, tout en transférant le meilleur d’eux-mêmes dans des supports fiables et vénérés. Aujourd’hui, où est l’idéal ? Que verra-t-on du vingt-et-unième siècle dans les Louvres du prochain millénaire ?

    J’ai beaucoup apprécié le British Museum. La dernière fois que j’y suis allé c’est il y quatre ans, et ça ne m’a pas particulièrement semblé être « la fête du slip » (avec Le Marginal Magnifique c’est toujours la fête du slip, on en a vu de toutes les couleurs ici depuis le temps croyez-moi, tout cela mériterait la censure pure et simple, mais tout passe semble-t-il quand c’est fait avec esprit…). C’est très impressionnant ce British Museum, le mausolée d’Halicarnasse, les frises du Parthénon, le monument des Néréides. Ca m’a toujours fait plus d’effet que le Louvre, on se sent plus immergé. Mais c’est vrai que le musée en général ce n’est pas ce qu’il y a de mieux. C’est toujours un peu fatigant, frustrant, superficiel. On est passif, or il n’y a que l’activité qui est vraiment épanouissante en fin de compte. Mais ça reste la meilleure formule pour entrer directement en contact avec les civilisations passées, et pour admirer la foi qu’elles avaient, contrairement à nous, en leur idéal. Je ne doute pas qu’il y a des choses plus intéressantes et plus authentiques à voir que le Louvre. Mais j’ai pour maxime qu’il faut se soumettre à son destin, et, ce jour-là du moins, c’est au Louvre et nulle part ailleurs que le destin semblait me convier.

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  6. Savannah Flint24 juin 2016 à 21:55

    Bien sûr qu'une maîtrise de soi absolue ne serait pas souhaitable, cher Laconique, je crois que la pensée la plus simple qui me vient à l'esprit à cette idée, c'est que ce serait drôlement barbant de vivre dans un tel monde... Puis d'ailleurs, l'humanité n'y survivrait sans doute pas... Quant à votre question, je crois que vous connaissez tout autant que moi la réponse. D'ailleurs, avec notre manie de tout photographier et de tout filmer, maintenant, et surtout les choses les plus banales, il y a fort à parier que notre siècle et les suivants n'auront plus aucun mystère pour les millénaires à venir. Ce qui sera drôlement barbant là aussi, ce d'autant plus que nous en sommes au point mort sur le plan des réalisations artistiques et spirituelles ! Parce que le mystère, au fond, c'est primordial pour que l'être humain continue à donner un sens à son bref passage sur Terre. Sans mystère, pas de grande civilisation... Et c'est ça aussi, à mon sens, qui rend l'héritage des siècles passés fascinant et extasiant.

    Je trouve tout comme vous que le British Museum en impose, et il a aussi eu sur moi plus d'effet que le Louvre, qui paraît tout petit en comparaison. Je me souviens des frises du Parthénon. Pour les deux autres monuments, soit je ne les ai pas vus, soit je les ai oubliés. Je suis aussi d'accord avec vous lorsque vous dites que le musée en général "est toujours un peu fatigant, frustrant, superficiel". Dans un musée, ce qui est exposé est décontextualisé et cela est finalement désincarnant. Je me souviens, au British Museum, d'un squelette vieux de plusieurs millénaires, exposé dans un cube en verre, parfaitement conservé. Eh bien, cela ne m'a rien fait. J'avais devant moi le squelette d'un homme qui a vécu en des temps immémoriaux, et je n'ai pas été émue outre mesure. Parce que je le voyais là, sous verre, dans un bâtiment consacré à l'exposition pure et simple de reliques du passé. "Le pauvre", me suis-je même dit. Par contre, j'ai été émue lorsque j'ai vu des gravures faites par des prisonniers de la Tour de Londres ici et là sur ses murs, il y des siècles, et parvenues à nous sans avoir subi la moindre altération. Justement parce que je me trouvais dans la Tour, et non pas dans un musée "bête et méchant".

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