Lu Le Conte d’hiver, de Shakespeare, dans la traduction de François-Victor Hugo, sans grand plaisir, je dois le reconnaître. Le théâtre, la mimesis, est vraiment le lieu des sentiments exacerbés, des outrances, de la démesure, Platon ne s’y était pas trompé. Comme je comprends, à la lecture de cette pièce (l’une des dernières de Shakespeare), l’inclination que le cinéma a toujours montrée pour l’œuvre du dramaturge anglais ! Tous les ressorts d’Hollywood sont déjà là : les liens familiaux passionnels, les quiproquos, l’amour et la vengeance qui écrasent tout le reste, la focalisation sur le visuel (des rois, des jeunes filles, des bergers), etc. Malgré la tenue du propos, caractère éminemment populaire de cet art. Personnages monolithiques, archétypaux, sentiments outranciers.
Il y aurait toute une étude à faire sur la force des liens familiaux et sentimentaux chez Shakespeare (voir aussi Hamlet, Roméo et Juliette, Othello, toute son œuvre en fait). En cela, Shakespeare est vraiment un précurseur, un pionnier. Dans la tragédie grecque, chez Racine, les passions sont toujours contrariées par un discours objectif : le pouvoir, le devoir, etc. Chez Shakespeare, elles occupent toute la place, de bout en bout. L’univers n’est pas autre chose que la manifestation de leur déploiement. Comme je comprends la faveur dont il a joui chez les romantiques, puis au cours de la seconde moitié du vingtième siècle ! L’essence du drame shakespearien est devenue notre quotidien : des attachements pathologiques, sanguinaires, Johnny et Laeticia, Carla et Nicolas. Tout cela semble bien étranger à ma nature… J’étais un petit garçon calme et mesuré ; aujourd’hui encore, après avoir passé presque toute ma vie au milieu d’hystériques et d’excités, je suis quelqu’un de tranquille, de posé. Leonte, roi de Sicile, est persuadé que sa femme le trompe avec Polixène, roi de Bohème ? Et après ? Cela vaut-il la peine d’entrer dans de telles transes ? Ah, mon cher Leonte, va t’allonger sous un olivier et récite plutôt du Virgile : « Déjà les toits des hameaux fument au loin, et les ombres grandissantes tombent des hautes montagnes… »
"J’ai cru jusques ici que l’amour étoit une passion trop chargée de foiblesse, pour être la dominante, dans une pièce héroïque : j’aime qu’elle y serve d’ornement, et non pas de corps ; et que les grandes âmes ne la laissent agir qu’autant qu’elle est compatible avec de plus nobles impressions. »
RépondreSupprimer-Lettre de M. de Corneille à M. de Saint-Évremond, pour le remercier des louanges qu’il lui avoit données, dans la dissertation sur l’Alexandre de Racine (1668), in Œuvres mêlées de Saint-Évremond, 3 volumes, Troisième Partie, Texte établi par Charles Giraud, J. Léon Techener fils, 1865, 440 pages, p.311-312.
Merci pour cette référence, cher Johnathan Razorback. Je ne connaissais pas, c’est très éclairant, même si Corneille est sans doute un cas extrême.
RépondreSupprimerNice blog postt
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