Je discutais l’autre jour avec un vieil ami.
« J’ai travaillé à une époque dans les bibliothèques publiques, en Auvergne, me dit-il. Je me souviens d’un garçon qui venait régulièrement dans la bibliothèque d’un village un peu paumé, un trou perdu comme on dit. Il s’appelait Thibaut. Il devait avoir une vingtaine d’années. Il avait je ne sais quels handicaps mentaux et physiques, pas mal de kilos en trop, mais ce n’était pas un débile pour autant, on communiquait tout à fait normalement avec lui. Il avait les dents un peu de travers, une élocution traînante. Il savait à peine lire et écrire, il passait tout son temps devant les postes informatiques à regarder des dessins animés, et on voyait la raie de ses fesses au-dessus de son short. Bref, c’était l’idiot du village. En discutant avec mes collègues, j’avais appris qu’il n’avait pas eu une vie facile : il avait été abandonné par ses parents, il avait été dans des familles d’accueil, et il était à l’époque dans une espèce de foyer pour jeunes adultes handicapés. Il détonnait par rapport au reste, c’était un vrai personnage à la Dostoïevski, perdu au fond de l’Auvergne.
Les gens aimaient bien Thibaut. Il parlait avec les bibliothécaires, les vieilles dames demandaient de ses nouvelles quand il n’était pas là. Au fond, il avait une vie sociale plus riche que la plupart des gens normaux. Et il suscitait quelque chose de positif, l’atmosphère était plus légère quand il était là. Attention, je ne dis pas que c’était un saint, pas du tout. D’après ses tuteurs il lui arrivait parfois d’entrer dans des colères terribles, incontrôlables. Mais malgré tout, je pense qu’on peut dire que quelque chose de l’idéal évangélique passait à travers lui. Il n’avait aucune attache familiale ou sentimentale, il réalisait à la lettre le précepte évangélique de quitter sa famille et ses proches, et c’était assez inédit dans notre société où ces attaches sont au fond la seule croyance qui demeure, la seule chose pour laquelle les gens sont encore prêts à donner leur vie. Il n’avait pas d’orgueil bien sûr, pas d’ambition, pas d’argent. Il vivait dans le présent, il regardait ses dessins animés pendant une heure ou deux et il repartait. C’était l’application à la lettre du précepte évangélique : « Occupez-vous d’aujourd’hui, à chaque jour suffit sa peine. » On mesurait, par rapport à lui, le poids de toutes nos chaînes : le souci du lendemain, les responsabilités, l’argent, la famille, etc. En sa présence, on se disait que tout ça n’était pas essentiel, que la vie était à la fois plus simple et plus immédiate. Les gens l’aimaient bien, et je me souviens très bien de lui, alors que j’en ai oublié tant d’autres. La vie est bizarre parfois, on rencontre des gens qui nous font changer nos perspectives, et ce n’est pas ceux qu’on aurait imaginés. »
Je suis sûr que Thibaut se tape des branlettes ! Et il doit s'en contenter, loin de la gent féminine, source de tant d'inconvénients et de souffrances...
RépondreSupprimerOn se complique trop, cher Laconique : finalement, la simplicité, circonscrire sa sphère, sont les clés du bonheur.
Lol. Vous êtes monomaniaque, cher Marginal. Mais on a tendance à se focaliser sur les domaines dans lesquels on excelle, c’est naturel.
RépondreSupprimerBah, j’aime bien les gens comme ce Thibaut. C’est pour ça que j’aimais Stephen King et son « club des losers ». Je préfère être un plouc que Beigbeder, et c’est vraiment instinctif, mes pores s’ouvrent au rayon bière d’un magasin poisseux en Pologne ou à Auchan au milieu des arabes. On a beaucoup à apprendre des ploucs, il sont plus proches de la vérité.