22 août 2019

Christianisme, le grand secret



Je discutais l’autre jour avec un ami catholique.
« Ce que j’ai à te dire concerne les origines du christianisme. Je ne sais pas par où commencer. J’ai beaucoup travaillé sur la question, depuis des années, depuis 2004, et je vais tout te révéler aujourd’hui. Je te demande de ne pas m’interrompre, même si ce que je te dis te choque. Laisse-moi faire ma démonstration jusqu’au bout, et ensuite tu pourras me répondre.
Imagine un enfant qui naît, vers la fin de la République romaine, juste avant l’Empire. Ses initiales sont J.C. Il s’agit de Jules César. Son père naturel meurt rapidement, c’est un enfant sans père. Sa mère, Aurelia, est une femme d’une vertu distinguée, admirée par tous, et en particulier par l’enfant qui se tournera toute sa vie vers elle comme vers un modèle de pietas romaine. L’enfant grandit. Il se croît doté d’un destin exceptionnel. Il invoque sans cesse une puissance au-dessus de lui, la Fortune, qui lui vient en aide aux moments critiques. Il se dit descendant de la divinité, en l’occurrence de Vénus (« Vénus Victrix » était le cri de guerre des césariens à la bataille de Munda). César embrasse une carrière politique, il part mener des campagnes au cours desquelles, contre toute attente, il remporte des succès miraculeux. Par ailleurs, la clémence est un élément central de sa politique. Contrairement à ses adversaires et à ses prédécesseurs, il pardonne à ses ennemis, il leur octroie même des bienfaits, il nomme par exemple Brutus gouverneur de la Gaule cisalpine et préteur après la défaite des pompéiens à Pharsale. C’est la fameuse « clémence de César ». J.C. triomphe de toutes les forces terrestres. Sentant son heure venue, il rentre dans la ville sainte, Rome, et il offre librement sa vie pour ses semblables. Le sacrifice a lieu au début du printemps, au cœur du pouvoir politique, à la Curie. En mourant, J.C. pardonne à ses meurtriers. Et de fait on découvrira dans son testament qu’il lègue à la population de Rome une partie de sa fortune et de ses terres.
Immédiatement, un culte s’installe. Tu sais que le territoire de la ville de Rome était sacré, et que l’on n’avait le droit d’enterrer personne à l’intérieur du pomerium, l’enceinte sacrée. Eh bien pour J.C. on fait une exception. On dresse un bûcher en plein forum, puis l’on élève un temple à cet endroit, le long de la Voie sacrée, juste à côté de la Regia. Les ruines de ce petit temple existent encore, si tu vas à Rome tu peux les voir sur le Forum, et il paraît que les fascistes italiens viennent y déposer une gerbe de fleurs tous les 15 mars.
Après la mort de J.C., des phénomènes étranges se produisent. Ceux qui invoquent son Esprit sont invincibles. Le jeune Octave, frêle, craintif et maladif, prend son nom, et il vient à bout du terrible Marc Antoine, combattant-né et adulé des troupes. Une période inédite de paix commence, sous les auspices de César. Le culte impérial est instauré, et il gagne toute la terre, en moins d’une génération.
Ce que l’on n’avait jamais cru possible, après des siècles de luttes entre cités, puis de guerres civiles, est arrivé : la paix, l’opulence, la liberté de commerce et de circulation.
Pourquoi n’en est-on pas resté là ? me demanderas-tu. Eh bien, il y avait deux problèmes. Un problème moral tout d’abord. Jules César était un homme de guerre, il avait été directement responsable de la mort de millions d’individus, et puis il n’était pas irréprochable sur le plan des mœurs, il aimait le luxe, il avait eu une infinité de maîtresses et d’amants. Ensuite, le culte de César était avant tout un culte politique (tu sais qu’on tuait les martyrs chrétiens uniquement parce qu’ils refusaient de sacrifier à César, ils faisaient preuve en cela de sécession par rapport au corps social). Or, assez rapidement, cette articulation entre le culte et le pouvoir s’est avérée problématique, le pouvoir se salit toujours les mains, et l’on n’a pas forcément envie de confier ses aspirations spirituelles à une réalité bassement concrète.
Il fallait donc transférer toute la substance du culte de J.C. sur un tronc qui fût à la fois moral et apolitique. Ce n’était pas facile. Tous les peuples, des Égyptiens aux Perses en passant par les Grecs, avaient toujours confondu pouvoir sacerdotal et pouvoir politique. Le culte était partout le culte du souverain. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle tous ces peuples se sont finalement fondus sans trop de problème au sein de l’Empire. À la vérité, il n’y avait qu’un seul peuple qui refusait cette soumission du spirituel au pouvoir temporel, qui critiquait ses rois dans ses textes sacrés, qui remplissait la charge de son culte à l’écart, qui ne voulait pas se mélanger ni céder aux injonctions du temps. C’était un petit peuple oriental, qui avait fait preuve d’une grande résilience par le passé, qui avait survécu aux Babyloniens et aux Perses, et qui s’enorgueillissait d’une mystérieuse promesse et d’un mystérieux héritage : c’était le peuple juif.
Dès lors, la marche à suivre était toute trouvée : il fallait greffer le culte de J.C., la paix et la puissance qui l’accompagnaient, la solution qu’il avait apportée à l’antique désordre et à l’antique souffrance humaine, il fallait greffer ce culte sur le tronc de l’arbre juif, seul exempt de compromission avec les puissances terrestres. Pour ce faire, il fallait trouver un homme de génie. Il fallait qu’il connût parfaitement les Écritures juives, qu’il fût un authentique docteur de la Loi. Mais il fallait aussi qu’il fût membre du corps social, qu’il fût citoyen romain. Ainsi la jonction pourrait s’opérer. Or il y avait à Jérusalem un nommé Saul, originaire de Tarse. Saul étudiait la Loi depuis son plus jeune âge. Ce Saul était citoyen romain, il n’hésitait pas à s’en targuer, comme il le fera plus tard en exigeant d’être jugé selon la justice impériale devant le procurateur de Judée Antonius Felix. Et Saul avait pu constater les indéniables bienfaits de l’empire romain : exerçant le métier de fabriquant de tentes, il pouvait circuler et commercer en toute sécurité avec le monde entier. Alors, un événement mystérieux se produit. Saul prend conscience de sa vocation. Il constate les impasses du pharisaïsme, d’un peuple juif replié sur lui-même alors que le monde est entré dans une ère nouvelle. Il décide de débarrasser le culte impérial de son impureté temporelle, et d’apporter à tous à la fois la paix de J.C. et la pureté de la Loi mosaïque. Il va bâtir une grande tente, l’Église, que chaque homme aura vocation à intégrer. Le christianisme est né. »
Il se tut un instant, et reprit d’une voix grave. :
« Tu penses peut-être qu’en disant cela je discrédite le christianisme. Mais c’est tout le contraire. Le christianisme est la vérité, la seule vérité, la seule voie vers le salut et la paix, et l’histoire que je viens de te raconter le prouve. Un seul homme a sacrifié le repos de sa vie pour le bien de tous, il a vécu dans les tribulations, il a fait des miracles, et après sa mort il a laissé sa paix à ses disciples. Mais cet homme, c’est Jules César. Sans César, pas de christianisme. C’est lui et lui seul qui a changé la face du monde. Le reste est une épuration nécessaire, voilà tout. »
Après une pause, il reprit fébrilement :
« Depuis que j’ai fait cette découverte, je ne dors plus. J’ai écrit au nonce apostolique, j’attends sa réponse. Il y a là cinq enveloppes, dans lesquelles j’ai déposé cinq dossiers qui recoupent et appuient toutes les assertions que je viens de faire devant toi. Si je décide d’envoyer ces dossiers aux cinq plus grands quotidiens français, en une génération c’en est fait du christianisme. Il suffit que quelques philologues, exégètes, spécialistes des processus cognitifs humains se penchent sérieusement dessus pour entériner définitivement la vérité de ce que je viens de te dire. Tout cela est entre mes mains, et ne dépend que de moi.
Je ne suis pas un athée. Je ne suis pas un agnostique. Je suis un catholique romain. C’est pourquoi j’ai pu voir si clair dans ce problème. Et je ne compte pas renoncer à ma foi, je ne compte pas rompre après tant d’autres l’Alliance avec le Dieu des douze tribus.
Je ne sais pas quoi faire. Tu peux me donner ton opinion. Je t’écoute. Mais je te demande solennellement, je te supplie de garder un silence éternel sur tout cela, et de ne jamais le révéler à qui que ce soit. »

4 commentaires:

  1. J'en peux plus, cher Laconique, quand vous déraillez sur le christianisme !

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  2. Lol. Je sais bien, cher Marginal, je connais vos goûts. Mais bon, s’il fallait se cantonner à ce qui excite les gens de nos jours, on n’irait plus bien loin hélas… A part les bites et les chattes…

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    1. Et le Da Vinci Code, Laconique, que faites-vous du Da Vinci Code ?

      Vous devriez écrire des romans ! ;)

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    2. Eh, ça faisait longtemps, cher Johnathan Razorback. Je n’ai pas lu le Da Vinci Code, mais j’ai regardé avec beaucoup d’intérêt ces deux vidéos du père Verlinde consacrées aux impostures antichrétiennes. Quant à ce que j’écris ici, ce n’est pas un roman, tout est rigoureusement exact.

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