6 février 2020

Pacôme Thiellement : Tu m'as donné de la crasse et j'en ai fait de l'or



Lu Tu m’as donné de la crasse et j’en ai fait de l’or, de Pacôme Thiellement, avec plaisir et intérêt. Il s’agit d’un récit autobiographique, de confessions à la saint Augustin, mêlées de considérations plus vastes sur le sens de la vie et la marche du monde.
J’éprouve une véritable sympathie pour Pacôme Thiellement. Il est brillant, très cultivé, et surtout c’est un innocent, un enfant, complètement détaché de l’esprit de sérieux, de la politique, des responsabilités, etc. Il vit dans le monde de l’art, de la spiritualité, des cinéastes et des poètes, des mystiques et des saints. C’est la raison pour laquelle je le suis avec intérêt et bienveillance. Pourtant, certaines choses m’ont déplu dans son dernier ouvrage, et je ne dois pas les passer sous silence. Ceci n’enlève rien à l’estime réelle que j’éprouve à la fois pour l’auteur et pour son œuvre.
Tout d’abord, Pacôme Thiellement se dit gnostique, et il s’en prend, à plusieurs reprises, à ceux qu’il appelle les « chrétiens » (sans faire de distinction entre catholiques, protestants, orthodoxes, etc., ce qui dénote déjà un point de vue superficiel sur la question). Il évoque notamment les « crimes des chrétiens », l’ « insanité chrétienne », etc. Je suis désolé, mais c’est un peu facile. Pacôme Thiellement injurie les chrétiens parce qu’il sait qu’il ne risque rien en faisant cela. Mais il se garde bien de prononcer le mot « islam » ou le mot « musulman » dans son ouvrage, alors que les mêmes reproches qu’il adresse aux « chrétiens » pourraient s’appliquer, de la même façon, aux musulmans. Il reproche aux « chrétiens », par exemple, de manger de la viande. Il évoque l’agonie atroce des porcs sacrifiés dans les élevages, et il accuse : « Un chrétien mange de la viande. Mieux : il doit manger de la viande. (…) Ce n’est pas une question de goût ; ça n’a jamais été une question de goût. C’est une question de pouvoir.  » Mais la grande hypocrisie là-dedans, c’est qu’il limite ses accusations aux chrétiens, sans jamais évoquer l’islam (et à mon avis le choix du porc pour servir son argumentation n’est pas anodin). Come on, Pacôme, et les moutons qu’on égorge pour l’Aïd el-Kebir, et l’égorgement halal, sans étourdissement préalable, ça ne vous choque pas ? Mais ça, on préfère ne pas le dire… On préfère s’en prendre aux « chrétiens ». Lol, si vous me permettez. Un peu de cohérence dans l’argumentation, d’objectivité, tout simplement, aurait significativement accru la crédibilité de votre « combat ».
Il y a une autre chose qui m’a un peu déplu dans cet ouvrage, c’est l’abondance des préconisations générales et vagues, du genre : « nous devons avoir une pensée vaste, qui embrasse tout », « nous devons accepter nos limites, et les connaître comme telles », « nous devons aimer ce que nous aimons davantage que nous aimons ne pas aimer ce que nous n’aimons pas », « nous devons vouloir ce que nous voulons davantage que nous voulons ne pas vouloir ce que nous ne voulons pas », « nous ne devons pas nous plaindre ; nous devons nous améliorer », « nous ne devons rien lâcher », « nous devons faire notre vie à notre image », « nous devons boycotter impérativement tout ce qui nuit à la planète comme à notre moral », etc., etc. En tout, cette locution revient une quarantaine de fois dans l’ouvrage. Or ce n’est pas comme cela que ça marche. Quand on multiple les injonctions jussives de cette manière, ce que cela révèle, c’est bien l’inaccomplissement, la projection vers un avenir rêvé, l’impuissance à réaliser la chose hic et nunc, le vœu pieux. Le Bouddha a dit : « On doit se mettre soi-même sur la bonne voie avant d’instruire les autres. Le sage qui prêche d’exemple est à l’abri des fautes » (Dhammapada, 158). Cher Pacôme, c’est sur vous-même que vous devez travailler. Soyez un exemple vivant de ce que vous prêchez, et alors vous n’aurez pas besoin de prêcher (car c’est ce que vous faites, et je ne vous le reproche pas).
Au fond, je suis très différent de Pacôme Thiellement. Nous avons puisé à des sources différentes. Pacôme Thiellement est nourri de bande-dessinée, de l’esprit Hara-Kiri, du cinéma de Lynch, des spiritualités orientales et soufies, mais on sent que la véritable culture occidentale, dans son expression la plus pure et la plus authentique, et qui dérive des trois sources canoniques : la source biblique, la source grecque et la source romaine, on sent que cette culture classique lui est fondamentalement étrangère. Cela se voit à la scansion des phrases, à la rigueur de la syntaxe. Il suffit de comparer avec le style de Voltaire, de Baudelaire, de Gide, pour saisir ce dont je parle. Le titre même est significatif. La formule originale de Baudelaire : « Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or » est un alexandrin, et elle ne peut se lire qu’en respectant la scansion propre à l’alexandrin. La modification opérée par Pacôme Thiellement ruine toute la musicalité de la formule. On sent que le rythme sacré de l’alexandrin n’est pas prioritaire pour lui, qu’il a passé plus de temps à lire les gnostiques, les orientaux et Shakespeare que Racine et Victor Hugo. C’est la raison pour laquelle, sur le plan du style, je préfère un auteur comme Nicolas Rey, qui a un vrai sens de la musicalité de la phrase, une élégance innée dans ce domaine.
Tout ceci peut donner l’impression que je n’ai pas apprécié l’ouvrage. Mais la vérité est que je l’ai lu d’une traite, ou presque. Pacôme Thiellement se confie avec une rare franchise sur certains éléments douloureux de sa vie. C’est ce que j’apprécie tant chez lui : il ne triche pas, il est incapable de tricher, il est d’un seul bloc, tout entier dans sa quête de beauté et de bonheur. Il est esclave de ses émotions, mais comme tellement de ses contemporains, comme presque tout le monde à vrai dire, et chez lui cela vient directement de ses accointances gnostiques, il n’a pas accédé à l’incroyable liberté que permet l’objectivité biblique. Mais sa voix est unique, si douce, si sincère, si profondément empreinte de l’idéal grandiose qui l’habite. C’est un poète, un vrai poète. Certains auteurs peuvent écrire des milliers de lignes sans susciter un sentiment authentique chez leurs lecteurs. D’autres sont simplement ce qu’ils sont, et la magie émane de leurs textes, de leurs propos, d’une façon innée. C’est injuste, mais c’est comme ça. Et quand on tombe sur un de ces messagers des mondes inconnus, on ne peut qu’être entraîné, et on leur pardonne tout.

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