15 avril 2021

Considérations sur la morale kantienne



Cet article se propose d’examiner les raisons possibles ainsi que les conséquences de l’oubli à peu près complet dans lequel est tombée la philosophie morale d’Emmanuel Kant (1724-1804). Avec l’échec d’Emmanuel Kant, c’est toute une conception de la vie et de l’homme – issue de l’Aufklärung du dix-huitième siècle – qui se trouve condamnée : la raison se trouve définitivement supplantée en tant qu’instance régulatrice et prescriptrice de l’agir humain, et ce sont d’autres forces qui informent et qui gouvernent notre modernité.
 
La philosophie morale d’Emmanuel Kant
La philosophie morale d’Emmanuel Kant est tout entière articulée autour de deux notions qui peuvent sembler contradictoires, mais qui sont en réalité absolument subordonnées l’une à l’autre : il s’agit du devoir et de la liberté. Cette philosophie a été principalement exposée par Kant dans deux ouvrages fondamentaux : les Fondements de la métaphysique des mœurs (1785) et la Critique de la raison pratique (1788). La pensée de Kant est néanmoins d’une cohérence remarquable, et on peut trouver des développements de sa pensée morale dans d’autres textes ultérieurs comme La Religion dans les limites de la simple raison (1793) ou la Métaphysique des mœurs (1795). Le postulat de Kant est d’une radicalité absolue : la volonté peut être déterminée par des mobiles de deux ordres : des impératifs hypothétiques (en vue d’une fin), ou des impératifs catégoriques (déterminés par la pure obéissance à la loi morale). On peut classer dans la catégorie des impératifs hypothétiques tout ce qui relève de la sensibilité, des inclinations, de la maxime de l’amour de soi, et en dernière instance de celle du bonheur. L’obéissance à des maximes de cet ordre relève de la causalité naturelle, les actions qu’elles dictent ne sont pas morales. Il y a hétéronomie de la volonté. L’obéissance à l’impératif catégorique en revanche introduit celui qui s’y soumet dans un autre ordre de valeurs, celui de l’autonomie de la volonté, de la liberté, des fins dernières, en un mot de la moralité. N’est absolument pas recevable pour Kant l’argument selon lequel un tel comportement n’a jamais pu être observé expérimentalement : ce qui compte, c’est que la notion de liberté découle nécessairement de celle d’un être raisonnable doué de volonté. Le concept de devoir est une « proposition synthétique a priori », c’est-à-dire qu’il ne découle pas de l’expérience, mais de la nécessité interne des concepts envisagés. « À tout être raisonnable, qui a une volonté, nous devons attribuer nécessairement aussi l'idée de la liberté, et il n'y a que sous cette idée qu'il puisse agir. » (1) « Tout être raisonnable doué de volonté », c’est-à-dire non seulement l’être humain, mais également d’éventuelles intelligences non humaines. La loi morale est universelle par définition, et l’impératif catégorique commande catégoriquement, c’est-à-dire qu’aucune considération d’ordre sensible ne doit être prise en compte lorsque cet impératif catégorique a parlé : « Tout élément empirique non seulement est impropre à servir d'auxiliaire au principe de la moralité, mais est encore au plus haut degré préjudiciable à la pureté des mœurs. En cette matière, la valeur propre, incomparablement supérieure à tout, d'une volonté absolument bonne, consiste précisément en ceci, que le principe de l'action est indépendant de toutes les influences exercées par des principes contingents, les seuls que l'expérience peut fournir. » (2) L’autonomie de la volonté, c’est-à-dire la subordination du vouloir aux maximes objectives du devoir, est « le principe suprême de la moralité ». La loi morale, déduite par Kant de la notion même d’impératif catégorique, est la suivante : « Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle. » (3)
 
Postérité du kantisme
L’œuvre de Kant a bouleversé l’histoire de la philosophie. Tout le dix-neuvième siècle allemand, le siècle d’or de la philosophie, est imprégné de Kant jusqu’à la moelle. Mais c’est surtout sa théorie de la connaissance, exposée dans la Critique de la raison pure, qui a été reprise et développée. À y regarder de près, aucun auteur classique de cette époque ne s’est vraiment inscrit dans la lignée de sa philosophie morale. La pensée de Hegel s’est développée dans d’autres directions, en particulier dans la définition de l’histoire comme prise de conscience progressive de l’« esprit absolu » par lui-même. Schelling et Schopenhauer ont élaboré des philosophies de la nature, c’est-à-dire qu’ils ont remis l’empirique au centre de leur pensée, totalement à l’opposé de la démarche kantienne. Schopenhauer, en faisant de la compassion le principe cardinal de sa morale, n’a pas de mots assez durs contre le formalisme absolu de Kant dans ce domaine. Nietzsche, qui le traite de « grand Chinois de Königsberg » (4), et qui voit dans sa morale l’apologie de l’insensibilité (5), et même de la cruauté (6), considère Kant comme un symptôme par excellence de la décadence en philosophie (7). La phénoménologie, en s’attachant aux phénomènes concrets de la conscience plutôt qu’aux lois formelles de l’agir, a bien entendu pris une direction opposée à celle de Kant dans ce domaine. Sartre, dès la première ligne de L’Être et le Néant, rompt avec l’idéalisme kantien : « La pensée moderne, écrit-il, a réalisé un progrès considérable en réduisant l’existant à la série des apparitions qui le manifestent. » (8) Il y a bien un courant philosophique qui se réclame ouvertement de Kant, le « néokantisme », mais il est surtout connu pour ses apports dans les domaines de la logique et de l’épistémologie. En un mot, la morale n’a pas été le thème majeur de la réflexion philosophique dans les deux siècles qui ont suivi Kant, et la morale kantienne a une réputation généralement défavorable. Le concept si fréquemment repris de « liberté » n’a guère été associé à ceux de « devoir » ou d’« impératif catégorique », mais plutôt à la déconstruction des vieux préjugés issus de la morale bourgeoise.
 
Qu’est-ce qu’un monde non kantien ?
Dès lors, la question se pose : Puisque la morale kantienne, considérée comme inhumaine et chimérique, a fait l’objet d’un rejet universel, que signifie le fait de vivre dans un monde non kantien ? Si la morale ne doit pas être déterminée par des maximes formelles inhérentes à la raison et totalement indépendantes de tous les facteurs empiriques, cela signifie que ce sont les facteurs empiriques, sensibles, qui déterminent les lois de l’agir humain. Cela veut dire que nous vivons dans un monde où ce sont les inclinations qui font la loi, un monde dépourvu de liberté, et dans lequel l’absence de principe formel universel de la morale entraîne de fait la lutte de chacun contre tous. Un monde d’hystérie, de violence, d’invectives, de coercition. En faisant de la subjectivité le principe ultime de détermination de l’agir humain, on n’a fait en réalité que revenir à l’aliénation originelle du déterminisme biologique (ce sont les plus nombreux, les plus forts, les mieux adaptés, qui ont droit au chapitre). Le débat public se ramène à une joute d’intérêts antagonistes, intérêts toujours empiriques, ce qui va de pair avec la nature technicienne de notre société. L’horizon est bouché, il n’y a plus aucune ouverture sur l’intelligible, sur le transcendant. Un monde non kantien est donc un monde d’aliénation et de violence. Les perspectives sont sombres, il faut le reconnaître : les nouvelles générations semblent moins que jamais disposées à considérer la liberté comme la soumission volontaire de l’arbitre aux principes universels de la raison, tandis que les générations plus âgées, de plus en plus prédominantes, sont quant à elles arc-boutées sur la défense de la tranquillité et des privilèges acquis, au rebours de toute démarche vraiment généreuse et désintéressée. Tout appel à un sursaut moral est inclus dans ce paradigme subjectiviste et n’est en réalité qu’un appel à l’amélioration des facteurs sensibles de l’existence, c’est-à-dire un renforcement, sous un certain aspect, de l’aliénation existentielle. « De tous côtés les impies s’agitent, la corruption grandit chez les fils d’Adam » (9).
 
1) Fondements de la métaphysique des mœurs, III
2) Fondements de la métaphysique des mœurs, II
3) Ibid.
4) Par-delà le bien et le mal, 210
5) Aurore, 132
6) Généalogie de la morale, II, 6
7) L’Antéchrist, 11
8) L’Être et le Néant, introduction.
9) Psaume 12

8 commentaires:

  1. Bonjour Laconique,

    Je suis en désaccord profond avec plusieurs thèses de votre billet (très clair et bien fait au demeurant).

    1): Vous parlez de l'oubli dans lequel serait tombée la philosophie morale de Kant. Quel oubli ? Le kantisme a toujours fait été une doctrine philosophique dominante dans l'université, depuis son importation en France par Victor Cousin . Le kantisme est ensuite devenu quasi-officiellement la morale laïque, humaniste, de l'école républicaine de la Troisième République. (Presque) tous les professeurs de cette époque étaient kantiens ou néo-kantiens. Le jeune Péguy veut fonder le socialisme sur la morale kantienne (avant de se rapprocher du bergsonisme et du christianisme). L'un de nos penseurs les plus brillants au 20ème siècle, Raymond Aron, était tout à fait néo-kantien. Encore de nos jours, la maîtrise de Kant, philosophie morale incluse, est une condition sine qua non pour réussir les concours de la fonction publique pour enseigner la philosophie (je peux en témoigner personnellement). Certes, il y a eu des moments d'infléchissements, les années 1945-1960 (montée en puissance de l'hégélianisme, de l'existentialisme et du marxisme), et 1960-1970 (structuralisme puis relativisme post-moderne, le dernier continuant à sévir grandement). Mais en gros, jusqu'à la fin du 20ème siècle, le kantisme est resté la façon dominante de penser la morale en France:

    « La parution du Petit Traité des Grandes Vertus a été un choc pour beaucoup d’entre nous. Il faut dire que, dans les pays de langue française, on était kantien en morale ou on n’était pas. Le retour d’une éthique centrée sur la vertu a décontenancé plus d’un philosophe mais a captivé un public élargi qui voyait bien ce qu’il y avait de novateur dans ce Traité. » (Michel Meyer, « L'éthique selon la vertu : d'Aristote à Comte-Sponville », Revue internationale de philosophie, vol. 258, no. 4, 2011).

    Encore de nos jours, lorsque des philosophes marxistes comme Yvon Quiniou ou Denis Collin essayent de remédier à l'absence de philosophie morale chez Marx, il explique que le socialisme de Marx doit se comprendre comme une application des valeurs kantiennes (et le jeune Marx appréciait effectivement l'universalisme kantien).

    Et en Allemagne les choses ne sont pas très différentes. Lisez Günther Anders (un philosophe critique de la technique), lisez Habermas, lisez qui vous voulez, la réflexion morale en allemand ne se fait à peu près toujours que sur une reprise du kantisme. Hannah Arendt aussi était largement kantienne.

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  2. Deuxièmement, vous associez le supposé échec du kantisme et le déclin du rationalisme. Mais c'est un contre-sens. Le criticisme de la théorie de la connaissance de Kant a été élaboré à partir de la philosophie de Hume, un sceptique. Loin de conserver l'idée d'une adéquation de la pensée rationnelle à l'être des choses, dans la lignée de la tradition aristotélicienne ou spinoziste, Kant affirme que les structures de notre esprit nous en empêchent. Tous le relativisme ultérieur (Schopenhauer, Nietzsche, la phénoménologie, les post-modernes), etc., ne fait que radicaliser et individualiser le geste kantien en détruisant la possibilité de formation d'un monde commun par l'usage de la raison:

    « Nietzsche reste résolument kantien lorsqu'il affirme que l'en-soi est inconnaissable, et que la phénoménalité dépend des conditions a priori de la sensibilité. Mais chez lui la sensibilité est déjà une puissance active que l'homme tient de l'essence même de la vie, qui est appropriation, assimilation, création: faute de pouvoir connaître cet "x énigmatique" qu'est l'en-soi (à propos duquel, du reste, il conviendrait d'observer un silence éléatique), l'homme traduit. La perception sensible est déjà traduction active d'une sphère à une autre, entre sphères absolument hétérogènes entre elles. L'excitation nerveuse est traduite en image mentale. Et le langage sera traduction sonore de l'image. Le langage est ainsi une traduction de traduction, saut au carré entre sphères hétérogènes, sans aucune certitude quand au texte de départ. » (Dorian Astor, Nietzsche. La détresse du présent, Gallimard, coll. Folio essais, 2014, 654 pages, p.204-205)

    Ce n'est pas un hasard si Kant est l'un des bêtes noires de Ayn Rand. Son épistémologie ne marque pas un essor du rationalisme mais un début de crise dans le crédit accordé à la raison.

    D'une manière générale, tenir Kant pour un représentant typique ou très avancé des Lumières est un contresens: « Kant est loin d'être un pur Aufklärer. Les postulats de l'existence de Dieu et de l'immortalité de l'âme, le refus de la Révolution [...] montrent combien chez lui l'audace théorique se marie à l'obéissance devant l'institué et le respect de l'Obrigkeit. » (Cornelius Castoriadis, Fait et à faire, Seuil, coll. Points, 1997, 336 pages, p.68).

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  3. Je ne vais pas faire ici la critique de la morale kantienne, je sais que vous avez déjà lu mon essai de méta-éthique, et les divergences sont assez évidentes.

    Mais je vais quand même dire quelque chose du fameux "impératif catégorique" (« Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle. »). La morale kantienne m'a toujours paru d'une absurdité et d'une inutilité rarement atteinte, mais ce point en particulier mérite le détour. Il n'est pas seulement purement formel, il est SUBJECTIVISTE, pas du tout réaliste, contrairement à un paquet de gens qui tiennent Kant pour un réaliste moral. Si est morale l'action qui dépend que j'en approuve la généralisation, alors la morale est entièrement relative à l'arbitraire du sujet. Deuxièmement, je peux parfaitement tenir pour bonne et digne d'être universalisée une règle ou une valeur qui serait mauvaise, inhumaine, barbare (si je suis moi-même tel). Par exemple, si je considère comme acceptable de mettre à mort des prisonniers de guerre, et que j'agis moi-même comme tel, je peux aussi consentir à ce qu'autrui agisse de même. Etc. L'universalité de la règle ne garantit aucunement sa bonté, et le fait de refuser que l'application de certaines règles morales ne dépendent de circonstances contextuelles mène à des absurdités bien connues, comme le refus catégorique du mensonge chez Kant (à comparer avec Socrate, dans le Second Alcibiade: "Le méchant ne mérite pas la vérité", et Alain "Je ne dois pas mentir à qui je dois la vérité", qui font bien dépendre le suivi de la règle de la relation, de ses conséquences et non de sa conformité rigide à un commandement a priori...).

    "Cela veut dire que nous vivons dans un monde où ce sont les inclinations qui font la loi, un monde dépourvu de liberté."

    => un monde spinoziste en somme. Hé oui ! Et cela ne signifie pas du tout qu'il n'y a pas de valeurs objectives, ou qu'elles ne peuvent pas être défendues. Mais plutôt qu'il faut tenir compte de la dimension empirique de l'homme, de ses passions, et les organiser afin qu'elles tendent au mieux vers l'épanouissement des individus, et non pas à leur dégradation. C'est tout le sens du matérialisme d'Holbach:

    "C’est pour s’être méconnu lui-même et pour avoir ignoré les rapports nécessaires qui subsistent entre lui et les êtres de son espèce, que l’homme a méconnu ses devoirs envers les autres. Il ne sentit point qu’ils étaient nécessaires à sa propre félicité. Il ne vit pas plus ce qu’il se devait à lui-même, les excès qu’il devait éviter pour se rendre solidement heureux, les passions auxquelles il devait résister ou se livrer pour son propre bonheur ; en un mot il ne connut point ses véritables intérêts. De là tous ses dérèglements, son intempérance, ses voluptés honteuses, et tous les vices auxquels il se livra aux dépens de sa conservation propre et de son bien-être durable. Ainsi c’est l’ignorance de la nature humaine qui empêcha l’homme de s’éclairer sur la morale."

    "La politique devrait être l’art de régler les passions des hommes et de les diriger vers le bien de la société, mais elle n’est trop souvent que l’art d’armer les passions des membres de la société pour leur destruction mutuelle. [...] Elle est communément si vicieuse parce qu’elle n’est point fondée sur la nature, sur l’expérience, sur l’utilité générale." -Paul Henri Dietrich, baron d'Holbach, Système de la nature, p.108.

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  4. Je vous remercie vivement, cher Johnathan Razorback, pour ce commentaire très riche, plus intéressant que l’article lui-même sans doute. Je vais essayer de répondre brièvement aux différents points, sans m’étendre, car les termes du débat sont assez clairs.
    - Tout d’abord, un avertissement liminaire : il ne faut pas prendre mes articles comme l’énoncé transparent de ce que je pense. Chaque article est indépendant, est l’énoncé d’une position, parfois radicalisée. Ce qui fait que je semble parfois ultra-catholique, une autre fois révolutionnaire, pour ou contre les Lumières, etc. Ces articles sont l’expression de mes débats et de mes contradictions internes, que je suis loin d’avoir tous tranchés. C’est une situation d’énonciation qu’il faut avoir en tête.
    - Du coup, même si Kant m’intéresse énormément, je ne suis pas kantien. La morale de Kant nie l’autre, l’altérité, au profit d’une tyrannie (autonomie) de la raison. D’un point de vue catholique et chrétien, c’est absolument inacceptable. Mais cet article se place du point de vue kantien.
    - Je ne suis pas philosophe de formation, et je ne prétends à aucune expertise en la matière. De ce point de vue, vos connaissances sont bien supérieures aux miennes, incomparablement supérieures, je le reconnais bien volontiers.
    - Ma critique de votre essai sur La Naturalité du bien portait précisément sur la dimension empirique – ou non – de la morale. Pour moi une morale empirique est une pure causalité naturelle, c’est-à-dire une contradiction dans les termes. La morale relève de la liberté – terme que je vous reprochais de n’avoir pas employé –, de l’indépendance à l’égard des inclinations. De ce point de vue je suis très influencé par Kant. Mais pour moi la morale n’est pas le dernier mot, au-dessus il y a l’ordre supra-naturel de la Charité et du Christ. Cf. toute la critique d’Ellul à l’égard de la morale, éternelle tentation de l’homme qui se veut affranchi de Dieu.
    - Merci pour vos éclairages sur l’influence persistante de Kant. Mais vous restez au niveau de l’Université, des spécialistes. Je ne connais pas Habermas, mais en France je ne connais pas de philosophe influent qui soit kantien. Luc Ferry peut-être. Sartre, la figure marquante du siècle dernier, n’était pas du tout kantien. Et le relativisme que vous dénoncez est le contraire de Kant. « L’inter-subjectivité » était le grand mot de la philosophie universitaire lorsque je l’ai fréquentée (Levinas), et je ne pense pas que les choses aient beaucoup changé. Tout le courant du développement personnel est le contraire de Kant. Bref, la conception kantienne est complètement absente de la vie intellectuelle contemporaine me semble-t-il, et pour cause, à notre époque de subjectivisme exacerbé. Mais je veux bien reconnaître que j’ai minoré l’influence de Kant pour la cause de l’article, et du fait qu’il était destiné à un lectorat « généraliste ».

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  5. - Pour le rationalisme, nous ne parlons pas de la même chose. Kant distingue bien la validité de la raison dans son usage théorique, spéculatif, et dans son usage pratique. Il professe en long et en large la capacité totale de la raison à édicter des maximes morales. C’est le centre, le point névralgique de sa morale. Une citation entre mille : « Tous les concepts moraux sont tout à fait a priori et ont leur source et leur siège dans la raison, dans la raison la plus vulgaire, aussi bien que dans la raison la plus exercée par la spéculation » (Fondements, II). C’est d’ailleurs en quoi il s’oppose à Rousseau ( « Conscience, instinct divin, céleste voix... ») et à toute la morale du sentiment, sujet sur lequel j’ai eu l’occasion de longuement réfléchir et produire lors de mon cursus.
    -La généalogie entre Kant et ce qui l’a suivi (Schopenhauer, Nietzsche) me semble tout à fait pertinente. Enfin Kant se voyait tout à fait comme un représentant des Lumières, et la critique de Castoriadis me semble se placer davantage sur un plan politique que vraiment intellectuel.
    - Pour l’impératif catégorique, ce n’est pas le centre de ma réflexion, et à mon avis ce n’est pas le point le plus important des Fondements de la métaphysique des mœurs. Il me semble que Kant y revient davantage dans La Critique de la raison pratique, ouvrage que je n’ai pas relu depuis longtemps. Votre critique me semble assez recevable et pertinente (quoique reposant sur des notions empiriques, ce qui n’est pas le plan sur lequel se place Kant). Moi aussi j’ai un peu de mal avec le contenu de l’impératif catégorique et avec ses applications concrètes, mais je pense qu’il est en parfaite cohérence avec le reste de la morale de Kant.
    - Vous finissez sur l’empirisme, d’Holbach, ce qui rejoint d’une certaine façon vos propres conceptions en la matière. Je ne veux pas me prononcer à titre personnel. Il s’agissait d’exposer ici la morale de Kant. Pour ma part, je vous ai exprimé mes réserves quant à l’empirisme, y compris sur votre site. Et, comme je disais en commençant, d’un point de vue biblique et chrétien la morale n’est pas l’ultima verba...

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  6. "Luc Ferry peut-être."

    => Luc Ferry et Alain Renaut ont marqué un "retour à Kant" dans les années 1980/90, qu'on oppose généralement à la période structuraliste précédente. Ferry a écrit en 2006 un "Kant. Une lecture des trois Critiques". Le kantisme est donc toujours bien présent dans le paysage intellectuel francophone (c'est bien sûr moins vrai dans les pays anglo-saxons, qui sont marqués par une forte tradition utilitariste et par une redécouverte des éthiques antiques des vertus depuis les années 1950). Bref, je suis un peu surpris que vous parliez d'oubli de sa morale. Il y a au contraire beaucoup trop de gens qui considèrent le kantisme comme le dernier mot de la réflexion morale voire de la philosophie elle-même...

    Il est vrai que Sartre n'était pas kantien, mais Sartre a eu une célébrité qui ne reflète pas du tout son importance parmi les philosophes de son temps ou le public qui lit de la philosophie de nos jours, je pense... En outre Sartre n'a jamais écrit de livre spécifiquement sur la morale, ses cahiers pour une morale sont posthumes il me semble.

    Notez aussi que l'un des auteurs les plus étudiés à l'échelle occidentale en philosophie politique, John Rawls, est clairement néo-kantien... Ils sont partout vous dis-je ! ^^

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