Relu Le Radeau de Stephen King, nouvelle issue du recueil Brume (1985). C’est sans doute ma nouvelle préférée de King. Je me souviens de l’effet qu’elle avait produit sur moi lorsque je l’ai lue pour la première fois, vers douze ans. Peu après, je suis allé chez le dentiste, et l’effet de cette lecture persistait en moi, ne pouvait pas me quitter. C’est alors que j’ai vraiment pris conscience du pouvoir de la littérature. Comment une simple histoire peut vous imprégner à ce point, recouvrir toute la réalité sensible... Et comment des choses aussi noires, aussi horribles, pouvaient être imaginées, et contaminer votre vie. C’est l’ambiguïté de ce sentiment, entre émerveillement et horreur, qui en fait tout le prix (et c’est là précisément le thème de la nouvelle). Le Radeau n’est d’ailleurs pas l’histoire la plus horrible de Brume, il y en a deux ou trois autres qu’il n’est même pas permis de nommer – et que je n’ai jamais relues. D’une manière générale, Stephen King est surtout connu pour ses premiers écrits, alors qu’il était sujet à différentes addictions (principalement alcool, médicaments, drogue). Certains de ses textes d’alors sont vraiment noirs, sans espoir, beaucoup plus durs que ses textes de la maturité.
Tout Stephen King est dans Le Radeau, toute sa conception de l’horreur. L’histoire est très simple : quatre étudiants (deux garçons, deux filles) partent un après-midi d’automne vers un lac sauvage de Nouvelle-Angleterre. Ils se déshabillent, plongent dans l’eau glaciale et se retrouvent sur un radeau au milieu du lac. Tout à coup, Randy aperçoit une tache sombre qui flotte à la surface, comme une nappe de pétrole, ou un gros grain de beauté. La tache se déplace, s’approche, des couleurs merveilleuses, issues d’un autre monde, hypnotisent ceux qui la fixent, et lorsqu’elle vous attrape, elle vous engloutit, met vos nerfs et vos os à nus, et vous disparaissez en hurlant de douleur, comme le gremlin dans le robot broyeur du film.
L’histoire est simple, mais on voit ce qui intéresse King. Contrairement à Lovecraft dans La Couleur tombée du ciel (influence à peu près certaine), King ne s’attarde pas vraiment sur l’entité maléfique, il la décrit à peine. Le monstre n’est qu’un prétexte pour traiter d’une autre réalité, familière pour tous les lecteurs – dans ce cas, un lac isolé au mois d’octobre. C’est cette atmosphère automnale, de délaissement, d’isolement, de plongée dans la nuit, qui est rappelée tout le long du récit. Il faut y ajouter la jeunesse, ses rivalités, ses concupiscences sourdes qui peuvent se réveiller n’importe quand. Et Stephen King fonctionne toujours ainsi : le surnaturel est là pour souligner des situations réelles, familières : l’alcoolisme et la famille dans Shining, l’enfance, l’amitié, la différence dans Ça, le deuil dans Simetierre, etc. Et ce qui fait la perfection du Radeau, c’est justement cette simplicité : quatre amis sur un radeau, grelottant, en octobre, alors que la nuit tombe, que les estivants sont partis, et que plus personne n’est là pour vous entendre crier.
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