21 mars 2019

Nicolas R...

Il s’appelait Nicolas. Nicolas R… Nous avions douze ans et nous étions en sixième. Il y avait cinq classes de sixième, classées par niveau : les A1, A2, A3, B1, B2. J’étais en sixième A1. Nicolas était en sixième B1, puis en cinquième B2. Les A1 ne fréquentaient que les A1 et les A2. J’étais le seul de ma classe à fréquenter un B2, et j’étais toujours avec lui.
C’était en 1993. Je m’en souviens comme si c’était hier. Il avait les cheveux gras, il portait des jeans troués à l’époque où ce n’était pas à la mode, il écoutait du hard rock. Avec lui je me sentais bien, merveilleusement libre, à ma place. Pendant deux années nous avons été inséparables, et la vie a eu une saveur qu’elle n’avait jamais eue auparavant.
C’est en 1993 que j’ai découvert le hard rock, Iron Maiden, AC/DC, Metallica, Nirvana.
C’est en 1993 que j’ai découvert Stephen King, et j’ai lu tous ses romans en deux ans.
C’est en 1993 que j’ai fumé ma première cigarette, au banquet de profession de foi de Nicolas.
C’est en 1993 que j’ai embrassé une fille pour la première fois.
C’est en 1993 que Nicolas m’a fait voir Braindead, sur la télé de son salon.
Nicolas n’était pas un garçon que l’on pourrait qualifier de cool, de populaire, il ne plaisait pas spécialement aux filles. Il se foutait de la popularité, tout le monde se foutait de la popularité dans les années 90. Le terme approprié pour définir son rapport au monde, ce serait white trash. Nicolas était white trash, au sens le plus pur du terme. Pendant deux années j’ai vécu dans son sillage, et ce furent les années les plus pleines et peut-être les plus heureuses de ma vie.
En quatrième, Nicolas est parti dans un collège privé de Monaco, et j’ai perdu sa trace. De toute façon cela n’aurait plus été la même chose. On n’a qu’une seule fois treize ans dans une vie. Mais je pense à lui parfois, et je mesure à quel point nous étions faits pour être amis. Depuis, j’ai toujours eu du mal à m’intégrer dans un groupe, à accepter le conformisme, je me suis toujours lié avec des solitaires, des gens un peu différents. Et sous la surface policée que la vie m’a fait revêtir, je reste profondément white trash. Je n’ai jamais fait de sport de ma vie, je ne me suis jamais préoccupé de mon apparence, je me fous complètement de mes fringues, mes plats préférés sont les pizzas et le McDo, mon film préféré est Massacre à la tronçonneuse, le rock est la seule musique que je respecte. Le white trash constitue la moelle de mes os, l’essence de ma personnalité. Je suis white trash et je mourrai white trash, et cela je le dois à ces moments à jamais évanouis du début des années 90, lorsque j’étais assis sur l’arbre noueux qui jouxtait la cinquième B2, au fond de la cour de récré, avec Nicolas R…


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