S’il y a un ouvrage qui a la réputation d’être ennuyeux, c’est bien l’Iliade. « Connais-tu rien de plus embêtant que l’Iliade ? » demandait Paul Valéry à André Gide. Et certes, on se demande parfois, en lisant l’Iliade, quel intérêt les Grecs pouvaient trouver à cette suite de combats et de carnages. Tous ces crânes fracassés, ces torses transpercés et ces têtes tranchées peuvent nous sembler aux antipodes de la poésie véritable. Or nous aurions tort de croire que les anciens Grecs jugeaient cette célèbre épopée selon des critères seulement esthétiques. Plutarque nous livre un élément significatif à ce propos. Dans sa Vie d’Alexandre, il nous révèle que celui-ci, qui dormait avec le poème d’Homère sous son oreiller, « considérait l’Iliade comme un viatique pour la valeur guerrière ». Ce que l’Iliade fournissait aux Grecs, c’est l’image constamment répétée de guerriers qui faisaient face à leur destin et bravaient la mort plutôt que de s’enfuir. Les héros d’Homère sont semblables à « des chênes élevés, qui toujours tiennent bon sous le vent et la pluie » (chant XII). Si l’on néglige cela, il est impossible de comprendre les plus belles manifestations de l’héroïsme grec, tel qu’il s’est manifesté à Marathon ou aux Thermopyles. Les Perses étaient plus nombreux, certes ; mais les Grecs avaient dans le cœur les vers d’Homère.
C’est seulement lorsque l’on prend cette dimension en compte que la grave et triste beauté de l’Iliade apparaît. Mais plutôt que de paraphraser ce qui nous dépasse, taisons-nous et laissons la parole à Sarpédon, le noble Troyen, laissons parvenir jusqu’à nous ces antiques accents proférés par la jeunesse valeureuse et confrontée au tragique de l’existence :
« Ah ! s’il nous suffisait, mon brave ami, de fuir la bataille aujourd’hui pour n’avoir plus jamais à redouter la mort non plus que la vieillesse, tu ne me verrais pas lutter au premier rang, ni t’envoyer toi-même au combat glorieux. Mais puisqu’en fait, toujours et quoi que nous fassions, les démons du trépas, innombrables, nous guettent et que nul des mortels ne peut leur échapper, allons ! et procurons la gloire à quelqu’un d’autre, ou plutôt gagnons-la, nous, aux dépens d’autrui !... »
C’est seulement lorsque l’on prend cette dimension en compte que la grave et triste beauté de l’Iliade apparaît. Mais plutôt que de paraphraser ce qui nous dépasse, taisons-nous et laissons la parole à Sarpédon, le noble Troyen, laissons parvenir jusqu’à nous ces antiques accents proférés par la jeunesse valeureuse et confrontée au tragique de l’existence :
« Ah ! s’il nous suffisait, mon brave ami, de fuir la bataille aujourd’hui pour n’avoir plus jamais à redouter la mort non plus que la vieillesse, tu ne me verrais pas lutter au premier rang, ni t’envoyer toi-même au combat glorieux. Mais puisqu’en fait, toujours et quoi que nous fassions, les démons du trépas, innombrables, nous guettent et que nul des mortels ne peut leur échapper, allons ! et procurons la gloire à quelqu’un d’autre, ou plutôt gagnons-la, nous, aux dépens d’autrui !... »
Éh bien, cher Laconique, vous publiez vos nouveaux articles sur votre fameux site du "Goût des lettres" avec la constance et la rigueur du métronome ! Et l'on pourrait affirmer sans se tromper que cette persévérance nonchalante est à l'image de votre vie : vous cheminez tranquillement mais sûrement, sans dévier d'un millimètre de votre route, conduit par les préceptes sains que vous avez édictés. Aaah, combien Le Marginal Magnifique aimerait afficher la même constance ! Il s'y emploie, mais heureusement que vous êtes là pour lui rappeler ses obligations : ainsi donc l'heure va-t-elle sonner de marcher dans vos pas et de publier à nouveau !!! Je vous avoue cependant que mon intérêt pour les activités que nous déployons sur le net faiblit de mois en mois...
RépondreSupprimerEn attendant c'est un sujet illustre et noble que vous offrez à vos innombrables lecteurs avides toujours de vous retrouver : "L'Illiade" d'Homère. Je n'ai pas lu ce livre mais ce que vous en dites me conforte dans l'idée que je m'en fais : des combats à répétition, de l'héroïsme et de la noblesse à foison. Sa lecture semble en effet rébarbative comme l'affirme Gide ; d'après moi il convient de l'aborder en dilettante, c'est-à-dire en lisant quelques pages tant que demeure le plaisir, puis en l'abandonnant pour y retourner selon l'envie, pour éviter la saturation, en profiter s'imprégner pleinement du panache que l'œuvre recèle. D'ailleurs, même l'autre grande épopée de l'aède grec ne souffre pas la lecture continue et intensive, bien qu'elle soit beaucoup plus variée en péripéties.
Je fais court, aujourd'hui, cher Laconique, mais le cœur y est cependant !
Eh oui cher Marginal, je vois que vous avez bien saisi ce trait de ma personnalité : j’aime la régularité. Que voulez-vous, je suis un peu psychorigide… Je sais pourtant que ce n’est pas très bon, que cela témoigne d’une certaine vulnérabilité latente, bref qu’il vaudrait mieux détendre un peu les ressorts. Certains chercheurs en sciences humaines que je lis assidûment, comme Neil Strauss ou John Alexander, démontrent que pour obtenir du succès dans un certain domaine il faut de la surprise, de la spontanéité, voire un peu de brusquerie… Oui, je vais essayer d’être plus souple. En ce qui concerne ce blog toutefois, tant que l’inspiration me soutiendra, j’essaierai de poster à un rythme assez régulier. J’y vois une marque de « nonchalance » au fond : on ne se prend pas trop au sérieux, on poste de temps en temps, et ce rythme qui s’installe permet de considérer chaque texte comme l’expression d’une innocente petite routine. Que voulez-vous, vous vous avez l’arme de l’humour pour désamorcer la gravité de vos textes et montrer que vous ne vous prenez pas trop au sérieux ; mais dans les matières que je traite, il n’est pas toujours évident d’introduire une touche d’humour… D’ailleurs je suis heureux d’apprendre qu’un nouveau poème issu de votre plume va surgir (en fait je le savais déjà, certains indices sur votre compte Twitter m’avaient averti que du nouveau se profilait à l’horizon). Vous savez jouer sur l’attente cher Marginal, et vous attendez que des petits picotements d’impatience se manifestent chez vos lecteurs pour leur fournir un nouvel aperçu de votre vision du monde toujours surprenante et inattendue. Ah ! ce n’est pas si mal cette activité sur le Net, un peu d’expression personnelle ne fait pas de mal, et c’est toujours plaisant de voir ce que Le Marginal Magnifique nous a concocté pour trouer la monotonie du quotidien et la médiocrité de nos élites médiatico-politiques.
RépondreSupprimerPour en revenir à Homère, je suis bien d’accord avec vous : dans son cas, une lecture fragmentée convient parfaitement. C’est d’ailleurs ainsi que je le lis : un ou deux chants à la suite, rarement plus (chacune de ses épopées en compte vingt-quatre). Mais l’hypothèse que j’ai avancée dans cet article, c’est que cette monotonie, dans le cas de l’« Iliade », avait peut-être une justification précise : il s’agissait de créer une sorte de « mélopée », que l’on récitait avant les batailles, et qui disposait les auditeurs à l’endurance et au courage. Toutes les civilisations primitives disposent de telles techniques. Nous ne savons rien de la vie d’Homère, mais je ne serais pas étonné qu’Homère (celui de l’«Iliade » en tout cas) ait été militaire à un moment ou à un autre de sa vie : une telle passion pour la chose militaire sent le vécu ! Et puis, après tout, Socrate et Platon ont bien servi sous les armes, alors pourquoi pas Homère ? Ma foi, ce sera ma petite contribution du jour aux études philologiques sur les origines de l’épopée grecque…
Dans la prison d’une époque apathique aux soubresauts stériles, la découverte de ce blog fut une espèce d’éblouissement auquel j’ai failli mal répondre en le mêlant à d’autres qui ne lui ressemblent pas, alors que l’évidence exigeait que sa place fut à part : http://hydra.forumactif.org/t83-le-gout-des-lettres#273
RépondreSupprimerQuant au mot de Paul Valéry, pareil irrespect me laisse sans voix.
Merci pour votre commentaire, mais comme pour tout ce qui est bon dans la vie, je ne suis pas certain de la pureté absolue de vos intentions ! Ma foi, vous aurez toujours réussi à communiquer à mes innombrables lecteurs l’adresse de votre site : hydra.forumactif.org.
RépondreSupprimerLes Spammeurs sont légion, cher Laconique, n'oubliez jamais ça ! Bien que celui-ci ait personnalisé finement son spam le laissant présager de "bonne foi"...
SupprimerPS : le lien que vous avez mis dans votre réponse ne fonctionne pas, peut-être intentionnellement de votre part ?
Oui, cher Marginal, tous les grands sites connaissent le fléau des spams, à commencer par Le Marginal Magnifique ! La rançon de la gloire comme vous dites. C’est vrai que quand c’est un peu personnalisé c’est toujours mieux… Le non-fonctionnement du lien est involontaire de ma part, peut-être un petit clin d’œil de la justice divine…
Supprimer"Le non-fonctionnement du lien est involontaire de ma part".
SupprimerHum...Il faut croire que ça arrive même aux meilleurs. Au moins, cela vous inclinera à bien croire que ma présence en ces lieux n'est point motivée par quelque chose d'aussi bas qu'une captation du lectorat.
Si vous le dites, je veux bien le croire !
SupprimerA lire avec modération pour éviter la saturation. Une épopée où courage, héroîsme, fierté et gloire avaient toutes leurs lettres de noblesse. Mais la sensibilité souffre. Bonne soirée.
RépondreSupprimerUne épopée qui a sans doute beaucoup à nous apprendre, et qui tire vers le haut ! Bonne journée à vous.
RépondreSupprimer