18 février 2015

Le projet "Clean Democracy"


       If not us, who ? If not now, when ?

                                     Ronald Reagan.

       
       Mes chers concitoyens,
       Je n’ai pas besoin de vous rappeler la gravité de la situation, l’état calamiteux et pour tout dire humiliant dans lequel se trouve notre pays. Il serait aisé de dérouler à l’infini la mélopée de nos griefs et de nos souffrances, mais il me semble que cela ne nous mènerait pas bien loin. Ce n’est pas d’amertume que notre pays a besoin, c’est de solutions, et d’un nouvel élan vers l’avenir. A cet effet, je me permets de vous proposer un projet innovant et ambitieux, et que je crois à même de régler définitivement la grande majorité de nos problèmes. J’ai intitulé ce projet le « Projet Clean Democracy ».
       Ce projet se décompose en deux points. Tout d’abord, pour envisager un avenir meilleur, il importe de bien saisir les causes réelles qui nous ont conduits dans cette situation. Nul doute que le point de bifurcation du destin national se situe en juin 2007 avec l’élection de Nicolas Sarkozy à la Présidence de la République. C’est le moment, si honteux dans notre histoire, où la France, qui avait une dette raisonnable, en diminution, et moins de 7 % de chômeurs (si si), s’est enfoncée dans le tunnel abject dont nous ne voyons pas le bout. La cause première de cette élection, ne nous leurrons pas, c’est bien la connerie d’une grande partie de nos compatriotes. C’est cette cause que je vous propose de traiter tout d’abord, afin d’empêcher sa capacité de nuisance de se perpétuer et d'entraîner d’autres dégâts à l’avenir. Je propose de supprimer le droit de vote à toutes les personnes convaincues d’avoir voté pour Nicolas Sarkozy. Ici, deux problèmes se posent. Tout d’abord, doit-on empêcher de nuire ceux qui ont voté pour lui au premier tour en 2007 (31 %), au deuxième tour en 2007 (53 %), au premier tour en 2012 ( 27 %) ou au deuxième tour en 2012 (48 %) ? Il paraît délicat de sanctionner ceux qui ont voté pour lui seulement au second tour, puisqu’il s’agissait d’un choix par défaut. En outre, ceux qui ont voté pour lui en 2007 peuvent se prévaloir de l’ignorance dans laquelle ils étaient alors de sa vraie nature. Il me semble que la solution la plus humaine est de cibler seulement ceux qui ont voté pour lui au premier tour en 2012, lesquels sont incontestablement les plus irrécupérables de tous. Le second problème est plus délicat. Le vote est anonyme en France, comment peut-on donc s’y prendre pour retrouver la population visée ? Une seule solution me paraît viable, elle n’est pas très plaisante, mais je n’en vois pas d’autre, c’est de recourir à la délation. Nous connaissons tous des gens qui ont voté pour Nicolas Sarkozy au premier tour en 2012. Si les citoyens responsables les dénonçaient, nous aurions déjà une bonne partie du contingent dans nos fichiers. Afin d’éviter les abus et les vengeances personnelles, je propose d’appliquer la vieille loi biblique (Deutéronome, 19, 15), qui préconise deux témoins pour procéder à l’application d’une peine. Dès lors que deux témoins pourraient certifier qu’une personne est dans ce cas, cette personne passerait devant une commission qui trancherait son cas. Il ne faut pas non plus négliger tous les outils statistiques qui sont à notre disposition. Nous savons que certaines régions, certaines populations (les milieux aisés, les personnes âgées, les petits commerçants, les femmes) ont été davantage disposées à faillir. Ce sont ces publics-là qu’il faudra examiner avec le plus d’attention. En outre, on peut également recourir à des aveux spontanés, lesquels seraient récompensés par des remises de peine (le fait de pouvoir à nouveau voter au bout de vingt ans aux élections locales et législatives par exemple). Cette mesure n’est pas si difficile à appliquer, et elle permettrait d’assainir en profondeur nos rouages démocratiques.
       La deuxième mesure est plus ambitieuse. Il ne s’agit plus ici de cure, mais d’un règlement radical du problème démocratique. Je l’ai appelée « Projet Ronald Reagan 2020 » ou encore « Big Brother Ronald ». Il s’agit d’utiliser les données en notre possession pour que le meilleur dirigeant du vingtième siècle reprenne définitivement le pouvoir. Ce dirigeant, il n’y a guère de controverse là-dessus, c’est bien entendu Ronald Reagan (1911-2004). Le dispositif consiste à exploiter tous les documents audio-visuels, tous les discours, tous les écrits de Ronald Reagan et à les synthétiser au sein d’un programme permettant de prévoir les réactions de Ronald Reagan face à n'importe quelle situation. La Ronald Reagan Library constituerait un excellent corpus de départ. Ce programme serait enrichi d’un hologramme de Ronald Reagan, lequel s’exprimerait à la télévision, se déplacerait dans différentes villes, répondrait aux questions des journalistes et du public, etc. Le pouvoir exécutif, non seulement des États-Unis, mais du monde entier, serait transféré à cet ordinateur, pour une durée illimitée. Ainsi, l’humanité serait dirigée par ce qui se rapprocherait le plus de Ronald Reagan, et les immenses dépenses d’énergie et de capitaux employées pour organiser les différentes élections présidentielles seraient épargnées.

       Ces deux solutions peuvent sembler utopiques. Elles sont pourtant parfaitement réalisables dans l’état actuel de nos connaissances. Seule la volonté politique manque. C’est donc les citoyens qui doivent s’en emparer et forcer nos dirigeants d’organiser, au moyen d’un référendum d’initiative populaire, une consultation sur ce sujet. Alors, le projet « Clean Democracy » ne sera plus un rêve, mais une réalité.

9 commentaires:

  1. Éh bien, cher Laconique, vous envoyez du lourd ! On vous sent particulièrement inspiré sur ce coup-là, et vos innombrables lecteurs doivent se dire comme moi que vous ne nous aviez plus pondu de texte aussi long depuis belle lurette. Cependant, la longueur de mon commentaire sera inversement proportionnelle à votre fougue, car, vous le savez, je n'aime pas m'étendre sur la chose politique : elle me fatigue et me salit.

    Je m'attarderai donc uniquement sur l'aspect littéraire de votre nouvel article dont on ne peut que louer, comme toujours avec vous, le style, et dont les idées, les "mesures", constitueraient la base d'un bon roman de science-fiction prenant place en France dans un avenir proche. Inévitablement, vous vous doutez bien que nous sommes tentés d'effectuer le rapprochement avec votre récente lecture. On dirait que ça vous a plus cette affaire de prospective politique ! Bon, prêt pour nous pondre un roman, cher Laconique ? Et pour être dans la lignée de M. H., je vous suggère de faire apparaître, en plus d'un hologramme de Ronald Reagan, un hologramme de Monica Lewinsky taillant des pipes.

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  2. Et oui, cher Marginal, j’avais ces idées, ces « solutions » qui me trottaient dans la tête, et l’autre jour je me suis senti disposé à les mettre par écrit une bonne fois pour toutes. Et une fois écrites, je me suis dit qu’il valait autant les poster ici plutôt que les garder dans mes tiroirs. Ce n’est pas l’article dont je suis le plus fier, loin de là, et moi aussi je trouve que la politique est un sujet bien vil. Mais c’est justement ce hiatus immense, et qui ne cesse de se creuser, entre ce qui est et ce qui devrait être qui nourrit l’indignation et provoque l’écriture. Me tairai-je donc toujours ? Je ne veux pas être Guillaume Musso ou Jean Dujardin et continuer mon petit business comme si de rien n’était pendant que la maison brûle. Et rassurez-vous, je ne me prends pas pour Victor Hugo, je sais que tout cela ne sert à rien, mais puisque Internet est une des seules bonnes choses que nous offre cette époque insensée, je m’y défoule un peu moi aussi et alimente le Néant où vont se perdre tous les délires des excités du clavier !

    Je ne suis pas fan du dernier roman de Houellebecq, et je me garderai bien de marcher sur ses plates-bandes. Les prophéties, je les ai d’ores et déjà proférées ici, je connais la fin du film, je sais qui se perdra, quel homme et quelle femme prendront le pouvoir, tout cela restera en libre accès ici même ad vitam eternam. Non, un temps plus calme viendra, où la vraie littérature reprendra ses droits, dans mon âme comme dans le pays, et alors qui sait ce que le destin nous accordera de pondre, à vous et à moi ? Votre âme à vous, cher Marginal Magnifique, dont le noble recul face à la chose publique témoigne de toute l’altière pureté, elle devra bien s’y confronter à cette mélasse, comme tout un chacun… Puisse-t-elle rester aussi droite alors que celle de Ronald Reagan, et qu’une certaine partie du corps de Bill Clinton face à Monica Lewinsky !

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  3. Bonjour Laconique,

    Si l’amateur de SF que je suis a pu sourire à la lecture de votre article, le démocrate libéral qui sommeille en moi n’a pu retenir un froncement de sourcil renfrogné. Que voilà un projet politique bien élitiste et déplaisant, qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler le suffrage capacitaire voulu par Guizot ou, bizarrerie technologique plus funeste encore, la tentative de planification informatique de l’économie tentée dans les dernières heures de la voie chilienne vers le socialisme, avec les résultats grandioses que la gauche française et même mondiale s’efforce de faire oublier de ses ouailles…

    Je crois aussi que vous avez tendance à élever votre détestation de M. Sarkozy en explication générale du marasme de notre époque. ô certes ! je n’ignore pas combien ce personnage nuisible et retors, qui non content de dilapider la richesse nationale , a permis de désintégrer celles des autres, en trahissant et tuant au passage l’un de ces anciens hôtes, représente un danger public dont le destin ne nous épargnera peut-être pas la résurrection depuis les cendres de son échec…Et pourtant, la vérité est ailleurs les causes anciennes, profondes, structurelles. J’espère avoir l’occasion de les exposer au grand jour dans quelques mois, à condition d’avoir le temps et le courage d’abandonner les cimes éthérées de la poésie et de la philosophie pour traverser le marécage politique et sa « mélasse », comme vous dites.

    Quant aux électeurs de M. Sarkozy, l’amour de la démocratie nous enjoint de les traiter en adultes : Ils doivent boire jusqu’à la lie le poison né de leurs actes, il en va de leur responsabilité. C’est à d’autres, plus lucides, de chercher à renfermer le clown infernal et sa bande dans la boîte de Pandore de l’anonymat d’où ils n’auraient jamais dû sortir.

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  4. Je regrette un peu, cher Jonathan Razorback, qui ni vous ni le Marginal n’ayez été sensible à l’humour de mon texte. C’est sans doute de ma faute, non de la vôtre, et l’auteur d’un texte est assurément le premier responsable de sa réception. Mais enfin, c’est surtout pour m’amuser que j’ai écrit cette tartine, je me suis délecté à employer toutes les ressources du logos et de la rationalité (chiffres, statistiques, argumentation détaillée) au service d’une proposition proprement délirante ! Si jamais il y a un intérêt à mon texte, c’est bien là qu’il faut le chercher, et c’est bien ainsi que je l’ai entendu. Non qu’un tel programme me déplairait fondamentalement, je ne le renie pas, mais enfin j’estime trop l’écriture, et trop peu la politique, pour m’être donné la peine d’écrire tout ça dans une visée bassement propagandiste ! Non, le plaisir, la jubilation d’employer une langue ultra mesurée et maîtrisée au service d’une thèse plus qu’extrémiste, carrément totalitaire, c’est là ce qui m’a motivé. Enfin, n’avez-vous pas noté toutes ces références : la « délation », « Big Brother », « régler le problème de la démocratie de façon définitive », etc., il était difficile d’être plus clair ! Je me suis bien amusé, mais je constate que je ne suis pas encore assez fin pour faire partager mon goût des facéties aux autres…

    En tout cas je vous remercie pour vos liens, ils confirment ce que je savais déjà sur le triste héritage du personnage en question, héritage calamiteux que les médias dominants, dans leur soumission grégaire, se gardent bien de rappeler… Mais comme dit le vieil adage : « Le temps dévoile la vérité. »

    J’avais déjà jeté un œil intrigué sur Oratio Obscura, et le titre est très prometteur. Je souhaite juste que vous ne gaspilliez pas vos capacités, qui assurément sont grandes, pour des causes qui n’en valent pas la peine. L’écume reste l’écume, si mortifère qu’elle semble, et seule la « racine » mérite l’intérêt de l’être authentiquement éclairé. J’espère donc que Les Cahiers de l’Hydre ont encore de beaux jours devant eux !

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  5. Personnellement j'avais bien remarqué le procédé auquel vous faites allusion, j'avais même employé les termes de "délire hallucinatoire" dans mon commentaire avant de les effacer. On est bien dans la science-fiction et la dystopie, avec sa dimension satyrique, c'est ce que j'ai relevé !

    Et pour ce qui est de votre obsession pour Sarko, je rejoins votre votre interlocuteur en politique...

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  6. C’est tout à fait ça, mais pour moi c’est de la dystopie pas si dystopique que ça… Je ne savais pas qu’il y avait tant d’affiches pour ce film confidentiel !

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  7. Obsession est un terme un peu fort, Monsieur Le Marginal Magnifique amateur de film underground. Après tout notre hôte n'est pas allé jusqu'à baptiser son blog en fonction de sa Némésis , à la différence d'un chroniqueur de l'actualité dont j'aime assez le sens de la mesure (on me trouve de grandes qualités, je rougis et pense d'autant plus à celles (nombreuses!) qui me font défauts).

    Ne croyez pas, Cher Laconique, que j'ai pu manquer votre ironie parce que vous n'êtes pas subtil, je dirais au contraire que vous l'êtes ici trop, ou moi par trop rabat-joie. Mais l'indifférenciation du Sérieux et du Frivole , et donc la dissolution de ces catégories mêmes, n'est-elle pas un signe distinctif de notre époque ?

    Il est bien certain qu'il n'est guère sage de s'éloigner d'un certain point d'équilibre entre action et contemplation, et c'est pour le moment de la première, dans son aspect authentiquement polémique, dont je me languis. Mais tout viendra en son temps. Je me hâte lentement, et si je ne trempe pas encore ma plume dans le vitriol, c'est que je cherche encore le point sûr, la "conviction suffisamment fondée, [...] capable de rendre des arrêts aux conséquences multiples" dont parle . Jünger.

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  8. Et bien , Laconique, vous vous êtes fait plaisir en concoctant ce texte ! Personnellement, je le trouve intéressant et dans son fonds et dans sa forme . Votre rêve d'un monde politique meilleur en laissant librement s'exprimer votre imagination, sans concession aucune mais je crois avec beaucoup de sincérité ! C'est engagé donc courageux, avec juste ce qu'il faut d'ironie et d'humour subtils dans ce programme à votre idée, on aurait presque envie d'y croire . Votre projet "Clean Democracy" par son analyse méthodique et la conviction que vous y mettez prend sa crédibilité au fil des lignes jusqu'à la chute finale qui nous rappelle à la réalité. Et oui c'était une utopie née de vos opinions bien affirmées et dont certaines sont loin de me déplaire. Ma conclusion ? Votons donc tous dimanche au nom de cette démocratie qui nous est un heureux dû.. Bonne soirée.

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  9. Je vous remercie pour votre indulgence. Je suis heureux que vous ayez été sensible à l’ironie et à l’humour, et c’est bien ainsi qu’il fallait l’entendre. Et puis, c’était un petit hommage à Ronald Reagan, qui a été un président très charismatique. Mais je vous avoue que je suis heureux de revenir à des sujets plus littéraires. Merci pour votre commentaire et bonne soirée !

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