21 avril 2016

Victor Hugo : Les Misérables


       Lu la première partie des Misérables de Victor Hugo (« Fantine »). Le statut unique de cette œuvre dans notre panthéon littéraire me semble tout à fait justifié. Si la France était un livre, ce serait Les Misérables, et nul autre. Pourtant, il se dégage de ce que j’ai lu je ne sais quelle lourdeur qui m’a laissé une impression assez pénible. Le manichéisme extrême de Hugo se déploie dans ce roman avec un manque de nuance encore plus prononcé qu’ailleurs, me semble-t-il. Si encore ce manichéisme coïncidait avec des vertus morales incontestables, cela pourrait passer, mais on sent les jugements de l’auteur sans cesse gauchis par des facteurs que l’on ne devine que trop aisément. L’inépuisable indulgence qu’il manifeste à l’égard de ceux qui ont chuté, on ne peut s’empêcher de penser qu’elle provient de ce qu’il se savait lui-même faillible, et plus que faillible. Cela donne lieu à une constante inversion des valeurs, avec l’idéalisation de Fantine, la fille publique, et de Jean Valjean, l’ancien forçat, tandis que l’officier Javert, dont il est précisé qu’« il n’avait aucun vice », est dépeint sous les traits d’un monstre froid, étranger à l’humanité. Ah ! que la source d’où proviennent de tels jugements est suspecte ! Et que l’idéal sec et immaculé de Platon semble grand à côté de ces perpétuelles concessions à la faiblesse humaine !
       Mais ce qui est sans doute le plus remarquable dans ce livre, ce que neuf critiques et lecteurs sur dix ne prennent même pas la peine de relever, c’est sa dimension spirituelle et métaphysique. La boue est sans cesse illuminée et transfigurée par des rayons d’une céleste lumière. Les réalités invisibles et suprêmes, Dieu, l’âme, l’au-delà, viennent toujours racheter ce que la misère a d’insupportable et d’injustifiable. Ce ne sont pas des abstractions pour Hugo, c’est le prisme à travers lequel il considère l’existence. C’est là l’indispensable clé de lecture de toute son œuvre et de toute sa vie, ce qu’il n’a cessé de répéter en prose et en vers durant ses soixante-cinq ans de carrière, et il faut tout l’aveuglement buté de notre époque pour ne pas le voir.

13 commentaires:

  1. Éh bien, cher Laconique, vous vous attaquez à du lourd avec "Les Misérables" ! Et ça fait plaisir de vous voir revenir à vos premières et seules amours ! La littérature et le patrimoine littéraire français !

    Mais laissez-moi pour commencer vous dire combien je vous admire, cher Laconique, et je suis sûr que vos innombrables lecteurs partagent ce sentiment : moi-même n'ai pas encore eu le courage de m'attaquer à ce monument de "notre panthéon littéraire".
    Sans doute la faute d'abord à une lassitude due à l'impression, erronée mais tenace, de connaître déjà l'œuvre de Papa Hugo, car depuis toujours nous avons été trop alimentés avec celle-ci, sous toutes ses formes, vulgarisée : films, téléfilms, dessins animés, comédies musicales, etc.
    Ensuite, parce que de ce que j'ai pu lire de Hugo s'est "dégagée", selon moi aussi, une espèce de "lourdeur qui m’a laissé une impression assez pénible" : ce "manichéisme" ajouté à une démonstration appuyée et tissée de grosses ficelles, sans trace d'humour, me sont toujours restés sur l'estomac. C'est qu'il porte de gros sabots, le Papa Hugo ! Même si l'on doit évidemment lui concéder la puissance de son écriture et de sa vision...

    Et nul doute que si un Platon "semble grand à côté de ces perpétuelles concessions à la faiblesse humaine", un Nietzsche aurait accusé cette "indulgence" "à l’égard de ceux qui ont chuté" de tous les maux et crié avec vous à l'"inversion des valeurs" qui aboutit à une morale des faibles !

    Cependant, je crois moi-même qu'il faut être bon avec les plus "faillibles", ce qui, au passage, n'est pas la même chose que les plus faibles (j'ai l'impression qu'il règne dans votre article une confusion entre ces deux notions). Platon lui-même n'a-t-il pas dit qu'il faut pardonner, car il n'y a pas de méchants mais seulement des ignorants ? Cher Laconique, peut-être Hugo se savait-il "lui-même faillible", mais, au fond, n'est-ce pas une marque de grandeur de regarder, du haut de son Olympe, les petits et de leur prêter attention ? Puis ne sommes-nous pas tous "faillibles" ? Je crains que la réponse à cette question soit positive, cher Laconique...

    Mais vous rejoignez, dans votre deuxième paragraphe, ma façon de penser, puisque vous relevez, au contraire de "neuf critiques et lecteurs sur dix", la "dimension spirituelle et métaphysique" qui transcende cette "boue". Il y a donc bien dans ce qui semblait au premier abord un éloge du "faillible" une volonté de le "transfigurer" et de percevoir en lui la part de noblesse, appelez-la Dieu si vous voulez, qui le rend digne d'amour et de rachat. C'est un beau projet, merde, cher Laconique ! Et c'est peut-être pour ça que Papa Hugo a laissé aussi durablement, je n'ose dire éternellement, son empreinte vénérable.

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  2. Vous me faites marrer, cher Marginal ! Vous êtes le premier à lancer un regard inquisiteur sur les mœurs dissolues de Jean-Paul Sartre, sur l’inclination de Platon et de Gide à l’égard des jeunes éphèbes, et vous voilà tout plein d’indulgence envers Hugo, qui s’est tapé la moitié de Paris ! Ah là là…

    Mais commençons par le commencement. Je n’ai pas grand mérite à m’être lancé dans ce monument littéraire que constituent, en effet, « Les Misérables ». Pour l’instant je n’en ai lu qu’un quart, pas toujours avec extase je dois le reconnaître, et nous verrons si j’arrive au bout un jour. L’œuvre a une portée incontestable, Hugo brasse tout, l’histoire, la philosophie, les réalités sociales, les destins individuels, avec une virtuosité et une ambition qui n’appartiennent qu’à lui, mais comme vous le dites fort justement il le fait avec de « gros sabots », et l’on a parfois envie de liqueurs plus subtiles, plus éthérées. Et comme vous le dites, aucun humour, aucune légèreté, d’ailleurs je ne connais aucun portrait de Hugo avec le sourire…

    Bon, vous me donnez le rôle d’un affreux censeur romain, genre Caton l’Ancien, qui reprenait les passantes sur la longueur des jupes (ou à peu près). Je ne juge personne, et je souscris à la parole de l’Evangile : « Ne jugez pas, et vous ne serez point jugés. » Mais si personne n’est totalement libre de ses actions (et moi pas plus qu’un autre), on est quand même responsable de ses discours. Ce qui me chiffonne un peu avec Hugo, c’est qu’il prétend amender le lecteur, lui donner des enseignements définitifs sur le bien et le mal, bref jouer le rôle du grand sage, tout en préservant ses pulsions, et son appétit sexuel insatiable (puisque c’est de cela qu’il s’agit). Le portrait de Javert est à cet égard significatif : Javert est monstrueux parce que continent. C’est accommoder un peu facilement le prestige de la prescription morale avec ses propres penchants ! Qu’ai-je affaire si Platon ou Socrate prenaient du bon temps avec leurs élèves, en tout cas leurs doctrines morales sur la maîtrise de soi étaient cohérentes, ils ne cherchaient pas à justifier leurs propres comportements par un discours un peu orienté…

    Par ailleurs, je ne pense pas faire de confusion entre « faible » (ou plutôt « misérable ») et « faillible ». Quand je parle de ceux qui ont « chuté », j’entends sur le plan moral, uniquement. Je fais la différence entre la misère sociale (subie) et le laisser-aller moral (un peu moins subi). Dans « Les Misérables », Dieu rachète la première (et j’approuve), et l’auteur se dédouane à l’égard du second (je trouve ça un peu facile). Mais peut-être me suis-je mal exprimé, c’est tout à fait possible ! Et puis, vous n’ignorez pas qu’il y a toujours une dimension parodique dans ce que je fais. Je suis un grand lecteur de Bossuet, et là j’ai repris tout le vocabulaire de l’édification religieuse au dix-septième : « chuté », « faillible », « faiblesse humaine », etc.

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  3. En ce qui concerne le dernier point, on se rejoint tout à fait, la dimension spirituelle de l’œuvre de Hugo est ce qui fait sa grandeur et sa spécificité, et c’est d’autant plus remarquable dans une nation cartésienne comme la nôtre. Il avait vraiment compris des choses profondes sur le mystère de l’existence, et il les exprime dans un langage limpide, c’est quasiment unique dans notre littérature.

    Et pour finir, petit hommage à Prince. Ce n’est pas ma tasse de thé sur le plan musical, mais il illustre votre vers : Faire de sa vie une œuvre d’art. Un artiste polymorphe, perfectionniste et control-freak, pour qui la création pure primait sur toute autre considération, à l’image du Marginal Magnifique !

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  4. Je n'ai jamais lu Hugo (toujours mes réticences instinctives à l'égard d'une partie de la littérature française... Je ne dis pas que ces réticences sont fondées, mais je les assume). Tout au plus ai-je lu quelques-uns de ses poèmes, ainsi que son étonnante et sublime préface à Notre-Dame de Paris, mais c'est tout. Toujours est-il que cette préface m'avait bouleversée et me bouleverse encore. Combien de visiteurs se seraient en effet émus comme Victor Hugo ? Très peu, sans doute. Ils seraient passés devant ce mot, "fatalité", sans se poser plus de questions. Je ne crois pas que beaucoup de gens soient touchés du fait que nous avons été, sommes et serons encore des milliards d'êtres humains à passer sur cette terre, et que déjà des milliards sont morts, meurent et mourront comme s'ils n'avaient jamais existé, comme s'ils avaient vécu en vain, sans laisser beaucoup de traces de leur bref passage sur Terre, voire sans en laisser aucune, pour la très grande majorité d'entre eux.

    On peut voir de telles inscriptions, protégées sous verre, dans la Tour de Londres. Des inscriptions de prisonniers célèbres, restés dans l'histoire et qui, il y a des siècles, ont décidé de ne pas quitter ce monde sans imposer au moins un souvenir de leur existence tragique à la pierre épaisse de la tour qui les retenait captifs. Mais justement, combien de visiteurs sont capables de voir autre chose qu'une simple inscription faite des siècles auparavant par un prisonnier, peut-être condamné à mort et exécuté de fait, mais dont on se fiche éperdument à présent, puisqu'il a disparu depuis si longtemps que l'on n'a plus aucune raison valable de s'en souvenir, d'autant plus qu'on ne le connaissait pas ? N'eussent été ces plaques de verre protectrices, j'aurais aimé pouvoir passer mes doigts sur ces inscriptions...

    Lire cette partie de la préface à Notre-Dame de Paris me retourne toujours les tripes : "Ainsi, hormis le fragile souvenir que lui consacre ici l’auteur de ce livre, il ne reste plus rien aujourd’hui du mot mystérieux gravé dans la sombre tour de Notre-Dame, rien de la destinée inconnue qu’il résumait si mélancoliquement. L’homme qui a écrit ce mot sur ce mur s’est effacé, il y a plusieurs siècles, du milieu des générations, le mot s’est à son tour effacé du mur de l’église, l’église elle-même s’effacera bientôt peut-être de la terre."

    Aussi, lorsque vous parlez de "la dimension spirituelle et métaphysique" présente dans ce premier tome des Misérables, cher Laconique, je vous crois sur parole !

    Pour en revenir aux Misérables d'ailleurs, je garde en mémoire votre précieuse note de lecture et la relirai volontiers si un jour il me prenait l'envie de lire tout ou partie de l'oeuvre. J'avais détesté Javert dans l'adaptation télévisée qui en avait été faite en 2000, et j'avais -- bien sûr -- adoré Valjean. D'un autre côté, la fin de Javert m'avait semblé brutale, imméritée et injuste. Malkovitch et Depardieu étaient vraiment impeccables dans leurs rôles, mais il reste que grâce à votre chronique, je reverrai sans hésiter mon jugement sur Javert, à l'aune aussi du sentiment de tristesse et de colère qui m'avait étreinte lors de sa fin.

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    1. Ma foi, c’est un bel hommage que vous avez rendu là à Victor Hugo, chère Savannah Flint, et il vaut mieux sans doute ne lire qu’une page de lui et l’apprécier comme vous l’avez fait que lire des volumes entiers qui n’impriment rien dans la mémoire ! Je sais que les goûts littéraires sont constitutifs d’une personnalité, et je ne changerais les miens pour rien au monde, mais il devrait quand même y avoir quelques ouvrages dans la littérature française qui pourraient parler à votre sensibilité. Essayez « les Nourritures terrestres » d’André Gide ou « Les Chansons de Bilitis » de Pierre Louÿs, c’est autant grec que français et c’est l’expression d’un lyrisme comme on en trouve peu de plus libre dans notre littérature.

      Je ne connaissais pas la préface de « Notre Dame de Paris », mais grâce à vous je l’ai découverte et c’est vrai que c’est très évocateur. Quand j’étais adolescent j’ai eu l’occasion de visiter les catacombes de Rome, et c’est vrai qu’il y a quelque chose qui nous prend aux tripes quand on se trouve en présence des vestiges de douleurs disparues depuis des millénaires. De même, impossible de rester impassible devant des tombes de jeunes filles datant de l’Antiquité telles que j’ai pu en voir dans des musées. Le but de toute existence doit-il être pour autant de « laisser sa trace » ? C’est amusant parce que c’est exactement, mot pour mot, l’expression qu’a employée une vieille amie, une personne d’un certain âge, lors d’une discussion sur la création littéraire. « Laisser sa trace… » Si j’écoute mes vieux amis, Bouddha, Krishna ou saint Jean, ils me diront que peu importe la trace qu’on laisse ou pas, l’important est de faire la volonté divine, d’être vertueux et de se résorber en paix dans le grand Tout. Peut-être que l’identité individuelle n’est qu’une illusion… Et ces « milliards d’êtres humains » qui ont disparu, peut-être se sont-ils libérés des liens terrestres d’autant plus facilement qu’ils avaient moins d’attaches et qu’ils laissaient moins de « traces ». « Dans le ciel, pas de trace », a dit le Bouddha (« Dhammapada », 254). Mais je dis ça pour le plaisir de la contradiction !

      Décidément je me suis mal fait comprendre dans cet article ! Voilà ce qu’il en coûte de s’attaquer à un monstre sacré comme Hugo, et je l’ai bien cherché ! Je ne vous demande nullement de revoir votre jugement sur Javert, qui est un pur salaud et qui a sans doute mérité la fin qui est la sienne. Ce que je reproche à Hugo, ce n’est pas d’avoir méconnu les qualités éventuelles de Javert, qui n’en a aucune, mais c’est de transférer une valeur morale à sa propre libidinalité. La chasteté de Javert est explicitement un des éléments qui le rendent monstrueux (« Avec cela une vie de privations, l’isolement, l’abnégation, la chasteté, jamais une distraction » (« Les Misérables », Folio, p. 242), et je ne peux pas m’empêcher de penser que Hugo dénigre ces caractéristiques, précisément parce qu’il avait des habitudes inverses, ce que je trouve un peu discutable comme procédé. Mais c’est sans doute mon vieux fond chrétien qui parle, chère Savannah Flint !

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    2. Certes, cher Laconique, ce n'est pas toute la littérature française qui ne trouve pas grâce à mes yeux. "Les Nourritures terrestres" de Gide, je ne connais que le passage "Familles, je vous hais !" et ma foi, celui-ci ne me quitte pas tant il fait écho à mon propre vécu... Je m'apprête justement à lire "Alexis ou le Traité du vain combat" de Marguerite Yourcenar, mais il y a bien longtemps que cette étonnante dame fait partie de mon panthéon littéraire, et il se trouve que je n'avais pas encore lu ce livre-là.

      "Le Grand Meaulnes" d'Alain-Fournier est aussi une oeuvre capitale à mes yeux. Viennent ensuite Antonin Artaud, Arthur Rimbaud (même si ce qui m'intéresse chez lui, c'est plus sa vie que son oeuvre, que l'on apprécie plus, je pense, lorsque l'on est adolescent qu'adulte...), Jules Laforgue (bon, je vous cite des poètes, mais pour moi, c'est pareil), et j'en oublie quelques-un, sans doute. "Le Petit Chose" d'Alphonse Daudet m'a marquée, parce qu'il fait écho à ma propre enfance, et je pense aussi qu'"Enfance" de Jules Vallès, dont je ne me souviens que très peu, ne m'avait cependant absolument pas déplu, pour les mêmes raisons que "Le Petit Chose" ou peu sans faut. Il faudra sans doute que je le relise un jour. George Sand et Chateaubriand ont assez compté dans ma vie, mais plus maintenant ou alors, George Sand compte encore, mais pour sa vie, comme Rimbaud. J'avais aussi aimé l'ambiance onirique et trouble du "Château d'Argol" de Julien Gracq. Je songe également à Marcel Pagnol, à Pierre Mac Orlan...

      Enfin, je vous citerai deux écrivains français bien vivants ceux-là, qui ont écrit des livres d'une grande qualité romanesque, et qui de fait valent absolument d'être lus : Jean-Pierre Ohl ("Monsieur Dick ou Le dixième livre", "Les Maîtres de Glenmarkie", ainsi qu'une excellente une biographie de Dickens) et Mathias Menegoz ("Karpathia"). Mais je serais de mauvaise foi si je ne disais pas que ces deux auteurs ont avant tout écrit des histoires non françaises...

      Je ne connais pas l'oeuvre de Pierre Louÿs et note donc le titre que vous me conseillez et vos observations.

      Je ne sais pas si le but de toute existence est de laisser sa trace ou non ; du moins, personne ne nous y oblige, et si l'on laisse sa trace, à moins de rentrer dans l'histoire, on ne la laisse jamais pour longtemps, puisque ceux qui se rappellent de vous en bien comme en mal vous suivent bientôt dans la tombe. Mais il y a quelque chose de terriblement triste à mourir seul, abandonné du monde... Songez à Gatsby ! Evidemment, notre époque met une espèce de ferveur névrotique et fébrile à faire en sorte que chacun croie qu'il faille laisser sa trace et entrer dans l'histoire : cf. toutes ses émissions qui vous promettent la renommée en échange de votre talent artistique dévoilé à la face du monde (ou de vos seins, c'est selon...), et toutes ces personnes qui la cherchent en vain, désespérément, et dont certaines d'entre elles plongent dans la dépression, la drogue, voire se suicident lorsqu'elles retombent dans l'oubli. "Laisser sa trace" auprès de quelques personnes aimées, oui, mais vouloir à tout prix devenir célèbre, rien que pour le fait d'être célèbre justement, non, cela n'a aucun sens.

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    3. Ah, d'accord, je vois maintenant où vous vouliez en venir à propos de Hugo et de son personnage. Bon, peut-être que vous vous êtes mal exprimé dans votre chronique, mais peut-être est-ce aussi que n'ayant pas lu Hugo, j'ai par conséquent manqué de substance pour comprendre véritablement l'idée que vous vouliez exprimer. Il y a sans doute un peu de vous et un peu de moi dans ce malentendu. J'apprécie les éclaircissements que Johnathan Razorback et vous apportez sur Javert. Vu sous cet angle oui, Javert est un salaud. Reste que sa mort dans la série télévisée de 2000 m'avait assez ébranlée. Mais bien que jeune, j'étais peut-être sans le savoir envoûtée par le charme magnétique de John Malkovitch !

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    4. Pour quelqu’un qui ne s’intéresse pas trop à la littérature française, je vous trouve plus que bien renseignée, chère Savannah Flint ! Vous me laissez sur le carreau même, je suis loin d’avoir lu tout ça… Mais c’est vrai que ce ne sont pas les mêmes orientations, les mêmes esthétiques qui nous ont formés vous et moi. Marguerite Yourcenar j’ai juste lu « Les Mémoires d’Hadrien » (obligé…), mais c’était il y a très longtemps. Je ne sais pas pourquoi je fais un blocage sur « Le Grand Meaulnes ». Je m’imagine (peut-être à tort) une esthétique germanique, nordique, alors que je suis plutôt porté vers la netteté méditerranéenne. Mais je comblerai sans doute cette lacune un jour. Chateaubriand a écrit de très belles pages sur son voyage vers Jérusalem, il est très intelligent, mais je le trouve un peu trop occupé de lui-même. Et Gracq, j’ai écrit le tout premier article de ce blog, il y a six ans, sur Le Rivage des Syrtes, que j’avais bien aimé (un peu déprimant quand même :-)). Merci pour les références contemporaines. J’ai déjà du mal à épuiser les disparus, mais en tout cas ça prouve votre éclectisme (que les registres variés et toujours maîtrisés de votre style manifestent également !).

      Johnathan Razorback est très bon pour introduire des nazis dans la conversation. Je me rappelle d’un échange animé à ce propos au sujet de Pan de Knut Hamsun. Mais comme c’est justifié, il n’y a pas matière à s’en plaindre ! Moi je me souviens du « Comte de Monte-Cristo » et de « Balzac » de Josée Dayan avec Depardieu. Je ne sais pas pourquoi je n'ai pas vu « Les Misérables ». Je crois que c’est Christian Clavier en Thénardier, je suis un peu allergique à cet acteur… En tout cas c’était une toute autre époque, un tout autre climat en France : pas de télé-réalité, les émissions et les dictées de Pivot, des téléfilms littéraires en prime time. Bon, maintenant on a les blogs pour s’exprimer, et peut-être qu’après tout c’est encore mieux !

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    5. C'est vrai qu'après toutes les références que je vous ai citées, cher Laconique, je me rends bien compte que j'aime la littérature française, même si j'ai l'impression que j'aime en majorité les auteurs un peu en marge, ceux dont on ne parle pas beaucoup... J'avais oublié de mentionner Maupassant aussi, lu en 4ème (c'est donc loin !), mais jamais oublié. Disons que voilà, je crois que le "classicisme" français et moi ne sommes pas en odeur de sainteté.

      Vous avez tout à fait raison d'écrire "que ce ne sont pas les mêmes orientations, les mêmes esthétiques qui nous ont formés vous et moi." Mais j'aurai l'occasion d'y revenir dès que possible dans notre échange sur l'apollinien et le dionysiaque, l'un de mes sujets de prédilection !

      Quant au "Grand Meaulnes", je comprends pourquoi vous faites un blocage dessus, eu égard aux orientations et aux esthétiques qui vous ont formé, justement. Ayant grandi dans une ville très voisine de là où Alain-Fournier est né et a passé ses vacances d'écolier, je vous dirai malicieusement que c'est un livre à l'esthétique berrichonne et solognote ; il y a là un attachement tragique à la terre, à l'enfance, un romantisme onirique teinté de mélancolie trouble, qui nous fait espérer le bonheur alors qu'il porte en son sein tous les présages de la mort. L'histoire du "Grand Meaulnes" est d'autant plus cruelle que la première guerre est proche, qu'Alain-Fournier ne le savait pas, et qu'il savait d'autant moins qu'il allait y perdre la vie, dès les premiers jours du conflit. Il y a une sensualité terrible et languide dans le "Grand Meaulnes", qui ne laisse pas indemne. Je me dois de souligner qu'Alain-Fournier était une âme maladivement catholique, et que son livre porte les traces d'un catholicisme résolument dionysiaque (qui est aussi le mien). Si vous ne savez pas sur quel pied danser avec Alain-Fournier, je peux vous conseiller la très belle biographie de Jean-Christian Petitfils, "Le frémissement de la grâce - Le Roman du Grand Meaulnes". Si ma mémoire est bonne, vous risquez par contre de vous faire (un peu) spoiler "Le Grand Meaulnes". Alors oui, si à propos de ce roman, et si par "une esthétique germanique, nordique", vous voulez dire une esthétique dionysiaque, je vous dirai que c'est le cas en effet.

      Christian Clavier en Thénardier, maintenant que j'y pense, oui, c'est cocasse, quand on connaît le registre de cet acteur ! Disons que Christian Clavier n'a jamais cessé de faire du Christian Clavier... J'aime cet acteur, mais dans ses débuts seulement, quand il pouvait encore nous surprendre et qu'il n'était pas tombé dans ce cabotinage lourdingue qui est par la suite devenu sa marque de fabrique.

      Les blogs pour s'exprimer, c'est encore mieux : on est actifs, et pas passifs, comme devant notre écran de télé. Ah, les dictées de Pivot... J'ai essayé une ou deux fois, en ligne et en temps réel, en compétition avec plusieurs internautes, avec un classement et tout et tout à la fin : j'ai fini avant-dernière ! La honte !

      Knut Hamsun est un auteur que j'ai noté depuis longtemps sur ma liste de lectures, j'espère le lire, un jour...

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    6. Vous parlez avec inspiration du livre culte d’Alain-Fournier, chère Savannah Flint, et s’il y a dedans tout ce que vous y mettez il mérite amplement son statut et sa renommée. Malheureusement, je me demande si je ne suis pas trop vieux pour être sensible à sa magie. Il y a des livres comme ça, comme « La Gloire de mon père » de Pagnol ou « Poil de Carotte » de Jules Renard, où il me semble qu’il faut avoir l’âge des personnages pour les apprécier vraiment à leur juste valeur. Mais peut-être que je me trompe, l’expérience le dira…

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    7. Oui, vous avez raison, et je crois qu'il en a déjà été discuté ici par le passé (avec l'exemple de Lovecraft, notamment) : certains auteurs, certains romans, certains recueils de poésie, sont faits pour être lus durant l'enfance, l'adolescence, voire le début de la vie adulte, là où l'on a encore un peu d'innocence qui nous permet d'être réceptifs au romantisme de ces œuvres, dont certaines ne nous content cependant pas des histoires toutes roses ("Poil de Carotte" par exemple). Cela posé, ça ne signifie aucunement qu'on ne peut pas lire ce genre de livres une fois devenus des adultes durement éprouvés par un réel sec et rigide ! Mais alors, nous y serons sans doute moins réceptifs, en effet.

      Je corrige une partie de ce que j'avais écrit tout à l'heure : il y a de la langueur, dans "Le Grand Meaulnes", mais c'est la langueur du premier amour qui rend fiévreux et dont on ignore encore si l'on pourra l'atteindre. Parce que sinon, ce roman fait preuve d'une étonnante vitalité, même si dans cette vitalité portée par des enfants et des adolescents fougueux (qui semblent ne jamais vouloir ni pouvoir grandir, à l'instar du "Peter Pan" de James Matthew Barrie...) se cache, à l'insu de ces derniers, la présence de la mort...

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  5. Le Marginal devine bien le jugement de Nietzsche sur Hugo, qui, il faut l'avouer, appartient à ce qu'il y a de pire chez Nietzsche (« Victor Hugo : ou le Phare de l’océan du non-sens. » -Le Crépuscule des idoles ; « Victor Hugo : riche et plus riche en trouvailles pittoresques, avec des yeux de peintre qui regardent le visible, tout le visible, sans goût ni discipline, de façon plate et démagogique, sur le ventre, comme un esclave, devant tous les mots qui sonnent, un flatteur public, avec ce ton d’évangéliste pour défendre tous ceux qui occupent le bas, les ratés, les opprimés, mais sans la moindre idée ce que peut être la conscience intellectuelle et la grandeur du petit nombre. Son esprit agit sur les Français à la manière d’une boisson alcoolique : il enivre et rend bête. Son bavardage assourdissant vous met tout de plein les oreilles : et l’on souffre comme dans un train qui traverse un tunnel. » -Œuvres philosophiques complètes, volume X, p.300-301, hostilité surdéterminée par un parti pris politique anti-démocratique, comme le montre cette autre citation de Nietzsche: « Victor Hugo et Richard Wagner –l’un et l’autre démontrent une même vérité : à savoir que, dans les civilisations de décadence, partout où le pouvoir souverain tombe aux mains des masses, la pureté devient superflue, désavantageuse, elle vous met au rebut. Le cabotin seul éveille le grand enthousiasme. »).

    Pour en revenir aux Misérables, je vous trouve, cher Laconique, un peu sévère avec ce qui est quand même le plus grand roman du plus grand écrivain de notre littérature nationale ! (ce qui n'est pas la même chose que de dire qu'il s'agit du meilleur roman français). Oui, il y a des longueurs dans cet ouvrage, mais je vous assure que cela vaut la peine de le lire jusqu'au dénouement. Quant à ce que vous appelez l' "indulgence" de Hugo, ce n'est autre chose que la pitié du poète pour tous les opprimés, les humiliés, qui ne se confond pas avec une complaisance pour le mal (voyez le portrait des époux Thénardier). Pour ce qui est de Javert, je le comparerais, mutatis mutandis, à l'analyse que fait Hannah Arendt du cas Eichmann. Eichmann n'était pas "vicieux" au sens où il aurait été sadique ou antisémite, sa faute a été d'agir "sans réfléchir", d'obéir à la loi sans s'interroger sur son bien-fondé. Il me semble que Javert, dans son application rigide de la loi, tombe dans ce travers, auquel il ajoute un conformisme détestable envers l'ordre établi (je pense à la scène de l'arrestation de Fantine où il l'accuse de troubler l'ordre public alors qu'elle vient d'être à moitié agressée par des crapauds bourgeois...). Bref, vos soupçons envers Hugo me semblent infondés.

    En guise de conclusion, et sans vouloir décourager notre hôte par la comparaison avec un illustre critique littéraire: la recension des Misérables par Baudelaire (qui illustre bien les différences entre les deux écrivains).

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  6. Ma foi, cher Johnathan Razorback, je vous remercie pour ces citations de Nietzsche, qui sont en effet savoureuses. Il n’a pas tout à fait tort, c’est vrai qu’il y a chez Hugo à la fois de « l’évangéliste » et du « cabotin », ce qui explique la part la plus superficielle de son succès en France. Nietzsche est quand même un des auteurs les plus fins, les plus subtils que je connaisse, sur ce plan-là c’est l’antithèse de Hugo.

    Vous parlez très bien des « Misérables », et je m’incline devant votre jugement, car il est évident que vous connaissez cette œuvre mieux que moi. Il y a là de la grandeur, de la noblesse, quelque chose qui dépasse la vision commune et étriquée du monde, et quand je dis que si la France était un livre, ce serait « Les Misérables », je le pense vraiment. Votre parallèle entre Javert et Eichmann est tout à fait pertinent. C’est exactement ça, Javert viole les règles de l’humanité par sa trop grande fidélité aux règles normatives. Je vais vous faire un aveu, cher Johnathan Razorback : je me suis toujours méfié de ceux (nombreux) qui méprisent Victor Hugo, et l’apprécier est pour moi un gage de valeur humaine. Je vous ai parfois taquiné sur votre intellectualité un peu sèche, mais là vous me remettez à ma place avec mes préjugés !

    Baudelaire a quand même qualifié « Les Misérables » de livre « immonde et inepte » dans une lettre à sa mère (11 août 1862). J’ai toujours eu un peu de mal à lire la prose de Baudelaire, très dense, un peu indigeste. Le plus grand critique littéraire français, pour moi, c’est quand même Gide. Il est vrai que c’est une critique « impressionniste », des notes éparses dans son « Journal ». Mais, dans ce domaine, plus c’est spontané, immédiat, meilleur c’est, bien souvent…

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