29 mars 2018

Quintilien : De l'Institution oratoire


Lu le début de l’Institution oratoire de Quintilien, avec beaucoup d’intérêt. Je suis frappé par le lien constant que Quintilien, le plus célèbre professeur de rhétorique de l’Antiquité, établit entre l’éloquence et la morale. Il y revient sans cesse. Il écrit : « Quand je parle d’un orateur parfait, je le prétends tel qu’il n’y ait que l’homme de bien qui le puisse être. » Et encore : « Je serais d’avis qu’on apprît plutôt à bien vivre qu’à bien parler. » Pour Quintilien, la première condition requise pour tenir un discours efficace, c’est de le mettre au service de la vertu et de la vérité.
Il me semble qu’à notre époque, c’est précisément le contraire. Je regardais l’autre jour en famille un célèbre homme politique corrompu s’expliquer à la télévision. Les gens autour de moi étaient fascinés, pendus aux lèvres de l’orateur, scrutant le moindre de ses tressaillements, le moindre de ses haussements d’épaule. Au fond d’eux, ils savaient bien que tout cela n’était que du baratin, du mensonge pur et simple, sur toute la ligne. Mais c’est justement cela qui les captivait. « Comment va-t-il réussir à faire passer la pilule ? Comment va-t-il nous embobiner encore une fois, employant toutes les gammes de sa voix, toutes les variétés de mimiques, de gestuelle pour nous convaincre contre l’évidence, contre la vérité ? » Ils n’auraient manqué cela pour rien au monde. Et ils l’auraient défendu bec et ongles.
Quelle triste époque que celle où l’art oratoire et la justice sont séparés ! Que nous en avons vu les tristes fruits ! Que nous allons en payer encore longtemps les déplorables conséquences ! Et que j’étais seul alors, contre ma famille, contre mes amis, contre mon pays, à discerner l’épouvantable et pourtant évidente vérité !

4 commentaires:

  1. La disjonction entre le bien dire (rhétorique) et le bien vivre est aussi un thème important du Gorgias.

    Ne soyez pas triste, cher Laconique. Vous savez bien que "les bons sont rares" (Héraclite). Et avec un peu de chance, le nœud coulant du gibet se refermera bientôt sur le "plus américain des Français"... N'est-ce-pas un juste retour des choses que de le voir paniquer, abandonné de tous, sinon de ses créatures obscures, parmi lesquelles des repris de justice ? ...

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  2. Oui, cher Johnathan Razorback, le Gorgias, chef-d’œuvre de Platon. Toute la première partie de l’œuvre de Platon est inspirée par l’exaspération que lui causait le succès des sophistes, qui prétendaient pouvoir enseigner l’art oratoire sans la moindre référence à des valeurs objectives telles que la vérité, le bien, etc. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, on a franchi un cap, et un message n’est apprécié qu’en fonction de l’effet qu’il produit, indépendamment de toute référence au vrai… D’où la dégradation du discours politique, l’effondrement du cinéma, etc. Le court-terme, la sensation, l’émotion, tout est lié.

    J’essaie de ne jamais me réjouir du malheur des autres. Mais la trajectoire de cet homme politique est vraiment terrifiante. Il s’enfonce dans le mensonge, dans une fuite en avant désespérée, et l’issue ne pourra être que brutale, comme je l’ai dit dès le premier jour. Et c’est toute l’histoire de notre pays qui sera à jamais marquée par cet épisode révulsant. Tony Montana… Vito Corleone…

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  3. Il est de retour, le Laconique ! Il n'a pas tout à fait déserté son Goût des lettres, malgré les terribles nécessités du réel qui le persécutent. Le remords sans doute serait trop tenace d'abandonner ses innombrables lecteurs à la médiocrité ambiante...

    Je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous concernant cet article, cher Laconique. Bien sûr, tous ces politicards de mes burnes sont d'habiles marionnettistes, mais, comme vous le dites, la plupart des spectateurs de ce cirque savent "bien que tout cela n'est que du baratin, du mensonge pur et simple, sur toute la ligne". Ce qui prouve donc que le discours n'est pas si efficace que ça malgré sa puissance persuasive et la fascination qu'il exerce.

    D'après moi, pour Quintilien, "l'orateur parfait" est celui dont la personnalité profonde ne fait qu'un avec son discours, qui ne présente absolument aucun dissonance entre ce qu'il est et ce qu'il professe. Et évidemment, pour que cela fonctionne, pour que cette authenticité pure touche sa cible, il faut qu'elle soit fondée sur une personnalité saine et morale.

    Du coup, comme l'enfoiré dont vous parlez ment comme il respire et qu'en plus il a le vice en lui, il a beau maîtriser toutes les ficelles de la rhétorique oratoire personne n'est dupe. On est juste amusé du spectacle. Puis les gens s'emmerdent tellement dans leur vie de peigne-cul que la moindre animation télévisuelle les comble...

    Ah, cher Laconique, ne prêtez donc plus attention à toutes ces conneries, votre nature noble vous appelle vers d'autres horizons !

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  4. Ah, cher Marginal, ça fait plaisir de vous revoir ici après cette pause bien contraignante ! Moi aussi, comme « les gens » dont vous parlez, j’ai vraiment mené une vie de « peigne-cul » en février (j’aime beaucoup ce terme), et je me languissais de retrouver des activités un peu plus éthérées… L’étau se desserre un peu en ce qui me concerne, et j’espère pouvoir alimenter un peu plus cet espace, vain comme tout le reste, mais du moins gratuit et dénué de toute vue basse ou intéressée…

    Et je vous retrouve en forme, tel le Phénix de la légende ! En pleine possession de vos moyens, et toujours muni de votre œil acéré et sans pitié pour les « politicards » qui nous gouvernent. Sur le fond, je ne vous rejoins pas tout à fait. Toute cette esbrouffe a marché à plusieurs reprises lors des dernières années, je crois que les gens sont plus crédules que vous ne le supposez. Ils ne demandent que ça, d’être convaincus… J’irais même plus loin : même si au fond ils suspectent l’entourloupe, ils préfèrent suivre quelqu’un de déshonnête mais de charismatique plutôt que le contraire. Le vieux coup du bad boy, et ce n’est pas à un spécialiste de la séduction comme vous que je vais l’apprendre. Et ce qui a perdu l’individu dont on parle, ce n’est pas la révélation de sa malhonnêteté (dont tout le monde était convaincu dès le début), mais plutôt la révélation progressive, à l’épreuve du réel, que les promesses d’enrichissement par tous les moyens et d’extase libidinale qui scintillaient lors de sa campagne ne concernaient au fond que lui-même, et pas les électeurs, cocus comme toujours.

    Mais vous avez bien raison : être en phase avec soi-même, il n’y a que ça de vrai, et c’est ce à quoi je vais tâcher de m’employer, à votre exemple, et au milieu d’un monde contraire.

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