17 avril 2017

L'étang de feu


       Et la mer rendit les morts qu'elle gardait, la Mort et l'Hadès rendirent les morts qu'ils gardaient, et chacun fut jugé selon ses œuvres. Et celui qui ne se trouva pas inscrit dans le livre de vie, on le jeta dans l'étang de feu.
      
       Apocalypse, 20, 13

       C’est de la réalité la plus dure que je veux parler aujourd’hui. Je ne me voilerai pas la face et je tâcherai de la regarder sans défaillir. Il est temps maintenant de parler ici de l’enfer.
       L’existence de l’enfer pose un problème d’ordre logique : comment une faute accomplie dans le temps peut-elle avoir un châtiment situé dans l’éternité ? Toute notre intelligence, tout notre cœur répugnent à une telle vision. Et pourtant, l’enseignement de l’Église, celui du Coran, celui des traditions orientales, des mythologies antiques, nordiques et germaniques, tous s’accordent ici avec la plus grande netteté : l’enfer existe, et il remplit son office scrupuleusement.
       La simple reconnaissance d’une réalité d’ordre spirituel conduit nécessairement à cette vérité. Puisque la Voie spirituelle est récompensée par un état bienheureux, puisque nombreux sont ceux qui ont fait l’expérience de cet état bienheureux, il doit s’ensuivre, de toute nécessité, que ceux qui vont à l’encontre de cette Voie connaissent un sort symétrique, d’autant plus douloureux que l’état salutaire est bienfaisant.
       C’est ici qu’il faut faire preuve de courage, d’un courage presque au-dessus des forces humaines, et reconnaître que l'enfer est une composante indispensable dans l’économie des réalités suprêmes. L'enfer est donc une destinée qui est susceptible de nous concerner, nous, nos proches, ceux que nous aimons.
       Ô vérité insoutenable, et pourtant aussi certaine que celle du soleil qui luit dans le ciel, que celle d’un lieu où une infinité d’êtres sont voués à des souffrances éternelles et infinies !

8 commentaires:

  1. Quelle perspective effrayante que celle de l'enfer ! En plus de ce passage de l'Apocalypse (un livre surpuissant et d'une beauté inégalée), votre avertissement se montre implacable, cher Laconique : en particulier (mais c'est mon avis) lorsque vous écrivez que l'enfer est une "destinée" qui peut concerner "nos proches, ceux que nous aimons". Mais il faut admettre que nous ne pouvons pas sauver tout le monde, et qu'il faut d'abord se sauver soi. Quant à sauver les autres : autant, pour la plupart d'entre eux, empêcher un mur menaçant ruine de s'effondrer, par la seule force de son appui. De toute façon, chacun est libre, en principe, de mener sa vie comme il l'entend -- et qui sommes-nous pour en juger ? Le problème, en fait, c'est que l'homme n'assume jamais les conséquences de ses actes : il veut le beurre et l'argent du beurre. Ils sont innombrables, ceux qui, par mauvaise foi, n'accepteraient pas d'être désignés pour l'enfer et récrimineraient, quand bien même on leur mettrait le nez face à leurs actes délictueux. Nous oublions trop souvent qu'avant d'avoir des droits, nous avons aussi et surtout des devoirs !

    Perspective effrayante, écrivais-je donc, et avec elle, celle, plus effrayante encore, de ne pas faire ce qu'il faut pour l'éviter, de ne jamais faire assez pour s'élever spirituellement, et pour s'élever de la fange plus généralement, puisqu'il n'est question que de cela : nous sommes libres, comme je le disais, de donner la direction que nous voulons à notre existence, à nos actes, mais nous devons accepter d'en payer les conséquences. Or, en aucun cas, à aucun moment, nous ne pouvons nous dire : ça y est, je suis parvenu à mon but, je suis parfait et n'ai plus rien à faire pour le devenir. Dès lors, comment être sûr que nous faisons ce qu'il faut pour éviter le tourment éternel ? Ce n'est pas une question hypocrite, quand elle est sincèrement posée, et quand ses actes sont effectivement en accord avec sa foi (car "la foi sans les œuvres est morte", dit encore la Bible, je crois). Tout cela est impitoyable. Entre le mal qui règne en ce monde, domaine de Satan, contre lequel la lutte surhumaine est quotidienne, et l'enfer potentiellement à venir, le repos bienheureux semble désespérément inatteignable... Il faut avoir la modestie et l'humilité de reconnaître que rien de bien n'est jamais assuré. En revanche, le mal, lui est partout et tout à fait tangible.

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  2. Oui, perspective effrayante, et ce qui est peut-être plus effrayant encore c’est que si peu de gens en soient effrayés ! La grande question est la suivante : tout le monde partage-t-il le même sort après la mort (en gros le néant), ou bien plusieurs voies s’ouvrent-elles alors ? Je suis convaincu que c’est la seconde hypothèse qui est vraie, mais alors quelle angoisse ! Et ce n’est pas pour moi, mais, comme vous l’avez bien dit, pour les autres, pour ceux qu’on ne peut pas aider, même pour les animaux qui ont partagé notre vie pendant des années. Et vous avez encore raison quand vous dites qu’on ne peut pas juger. J’irais même plus loin que vous chère miss Flint : vous parlez des actes, de leurs conséquences, mais quelque chose me dit que cela ne suffit pas, que l’on peut être cloîtré dans une cellule toute sa vie sans être agréé, et que l’on peut avoir accompli une multitude de choses que la morale réprouve et être sauvé in fine. Pour moi cela se joue ailleurs, et c’est d’ailleurs l’enseignement suprême de beaucoup de spiritualités (y compris le christianisme), dans le rapport d’amour que l’on est parvenu à établir (ou pas) avec Dieu et avec ses semblables.

    Une autre question que vous effleurez est la suivante : le monde contemporain favorise-t-il la destinée post mortem des âmes ? Il est bien évident que la réponse est non ! Presque toute l’activité de ce monde vise à détruire les ressources spirituelles que nous devrions cultiver pour être heureux, y compris dans cette vie. « Tout cela est impitoyable », vous l’avez dit, mais tout espoir n’est pas éteint, puisque c’est souvent de l’excès de la déviation que surgit le rétablissement dans la vérité.

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  3. Éh cher Laconique, il semblerait que l'on se soit donné le mot ! On publie sur nos sites respectifs à deux jours d'intervalle ! En revanche, si j'étais plutôt sombre dans mon précédent texte, vous c'est dans celui-là que vous avez décidé de nous foutre le bourdon. Serait-ce la perspective des imminentes élections présidentielles qui vous fait aborder le sujet de l'enfer ? Vous connaissant comme moi, vos innombrables lecteurs peuvent en effet très bien imaginer que votre petit texte aborde de façon à peine déguisée le monde futur qui nous attend prochainement et que vous entrevoyez en un éclair génial de prescience ! On comprend mieux que cet enfer soit dès lors envisagé en tant que "destinée qui est susceptible de nous concerner, nous, nos proches, ceux que nous aimons." L'enfer est à nous en somme...

    Sinon, concernant l'existence de l'enfer, vu le monde dans lequel on vit, on serait tenté de dire que l'enfer existe déjà sur cette terre, à ceci près qu'il n'est pas éternel. Et je veux bien y croire avec vous, cher Laconique, en ajoutant cet argument : nous avons régulièrement la preuve que le mal absolu et le diable sont des réalités alors de là à penser que l'enfer existe aussi il n'y a qu'un pas...

    Mais finissons plutôt sur une note joyeuse : en ce qui vous concerne, cher Laconique, j'aime à penser que vous vous retrouverez en paradis avec mille vierges pour vous sucer la bite, en un étang d'éternelles voluptés !

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  4. Eh cher Marginal, on dirait que vous êtes obsédé par la politique en ce moment ! Après votre poème, votre newsletter et votre message Facebook, c’est jusque dans votre commentaire que vous remettez la présidentielle sur le tapis. Non, aucun sous-texte politique dans cet article, je peux vous l’assurer !

    Sinon on dirait que, comme dans votre avant-dernier poème, l’enfer évoque avant tout pour vous des réalités de ce monde. Mais c’est à l’enfer stricto sensu que j’essaie de m’intéresser ici. C’est une évocation un peu succincte d’une réalité spirituelle professée par presque toutes les traditions. Réalité ô combien troublante, il faut bien le reconnaître, mais que je prends personnellement au sérieux. C’est vraiment la chose la plus tétanisante que l’on puisse imaginer, et c’est pourquoi j’ai voulu écrire un peu dessus. Je crois que si un jour je réalisais un rêve de gosse et que j’écrivais un roman fantastique, je ne pourrais pas m’empêcher de m’y référer, c’est à la fois très évocateur et très riche sur le fond, sur le plan métaphysique et moral.

    Oh, vous savez, au paradis je ne demande pas grand-chose, soixante-dix vierges suffiront !

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  5. En matière d'Enfer avec un grand E majuscule, je m'en tiens à cette observation fine du philosophe sceptique David Hume: « Le Paradis et l'Enfer supposent deux espèces distinctes d'hommes, une bonne et une mauvaise. Mais la plus grande partie de l'humanité flotte entre le vice et la vertu. »

    Quand au seul au-delà qui m'intéresse, celui que je prendrais volontiers pour toile de fond si je décide sérieusement d'écrire un roman, ce sont bien sûr les enfers au pluriel.

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  6. Et Hume aurait pu ajouter, cher Johnathan Razorback, que la plupart du temps tout est une affaire de circonstances, tant il est difficile de porter un jugement moral stable sur qui que ce soit. Il suffit de conduire pour se rendre compte que les couches d’égoïsme et de barbarie ne sont pas enfouies bien loin sous la surface de la plupart des gens…

    Je ne doute pas que la conception hellénique des Enfers ne puisse vous fournir des éléments évocateurs pour votre hypothétique roman, mais je ne suis pas sûr que ce genre soit le plus approprié à vos dons. Vos qualités d’analyse et d’argumentation s’exprimeraient mieux dans l’essai me semble-t-il, ou alors je dis cela parce que j’imagine les influences de votre prose romanesque – à commencer par Tolkien – et que, pour ma part – mais c’est tout à fait subjectif – je me suis toujours senti plus proche de Poe, Lovecraft et King.

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  7. Voilà un article audacieux et atemporel, certains théologiens refusent d'y croire, d'autres ne vont pas jusqu'à de telles dénégations mais disent qu'il n'y a personne dedans.Je pense que certaines natures se complaisent dans la haine et la destruction et qu'il est presque évident qu'elles ne pourront pas supporter la lumière parce qu'elles sont trop habituées à l'ombre.C'est presque un choix délibéré. J'ose espérer que Celui qui nous a créés et rachetés ne tiendra pas compte de nos faiblesses si nous sommes de bonne volonté.En attendant je reviens de Florence où j'ai contemplé de près le jugement dernier du Dôme et j'ai cru m'évanouir de terreur, si les artistes sont visionnaires, ce n'est pas un repos éternel à conseiller...

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  8. Vous avez de la chance de revenir d’Italie, chère Orfennix. Moi je suis allé plusieurs fois à Rome (obligé…), mais jamais à Florence.

    Quelque chose me dit qu'il y a une justice quelque part, mais c’est très difficile d’en déterminer les critères exacts. Personne ne peut s’estimer sauvé. Mais votre analogie avec la lumière me plaît. La lumière finale se transforme peut-être en flammes pour ceux qui ont vécu toute leur vie dans l’ombre de la duplicité et de la dissimulation. Il me semble avoir lu une théorie de ce genre chez Bossuet. Je crois que ce n’est pas ici le lieu de rentrer dans des considérations trop théologiques, mais il est certain qu’on ne peut pas se sauver tout seul, et que celui qui a mis sa confiance entre les bonnes mains a agi sagement

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