21 mai 2014

Le génie du symbolisme



       Si je devais définir le symbolisme en un mot, je dirais : solitude. Il suffit d’ouvrir un ouvrage emblématique de cette époque, comme Les Nourritures terrestres d’André Gide, ou les Poésies de Stéphane Mallarmé, pour que cette atmosphère si particulière de recueillement et d’isolement nous saute à la gorge. Jamais la littérature ne s’était autant approchée du mysticisme, de l’Absolu.
       Même Gide, qui écrit pourtant en réaction au milieu symboliste dans lequel il a évolué, en est encore tout imprégné et le restera jusqu’au bout. Il ne réussira jamais vraiment à prendre le monde au sérieux, ni la politique, ni l’Histoire. Quelle est l’expérience humaine ultime, selon Les Nourritures terrestres ? C’est de se réveiller dans un champ, couvert de rosée, de se rouler dans l’herbe et de voir le soleil se lever. Cette plénitude se suffit à elle-même, et n’appelle nul compagnon pour la partager.
       La solitude est le terreau commun à partir duquel toutes ces fleurs symbolistes peuvent s’épanouir. Ce sont des livres qui sont à peine faits pour être lus : Mallarmé, Gide n’auront qu’une poignée de lecteurs pendant des années, pendant des décennies, et leurs textes se déploient dans un silence sidéral, comme si la fin du monde avait déjà eu lieu. L’univers même qu’ils décrivent, dénué de polarité et d’enjeu, s’étiole languissamment vers on ne sait quel idéal. C’est le triomphe du vide, comme si l’extrême jouissance devait être recherchée, non dans la possession, mais dans le dénuement :

       Ma faim qui d’aucuns fruits ici ne se régale
       Trouve en leur docte manque une saveur égale.

7 commentaires:

  1. Ah, cher Laconique, je me doutais bien que vous alliez pondre un nouvel article, aussi guettais-je avec une avidité impatiente le moindre signe de renouveau sur "Le Goût des lettres" !!! Comme vous le savez les grands événements ne sont jamais tout à fait isolés et il est rare qu'il n'en entraine d'autres à leur suite. Ainsi, incessamment sous peu Le Marginal Magnifique vous emboîtera le pas pour lâcher sur le monde et l'éclairer quelques-uns de ses mots : finalement, hasard ou rencontre des grandes âmes, le fait est que nos publications sont devenues maintenant quasi simultanées !

    Bref, vous revoilà, cher Laconique, pour la plus grande joie de vos innombrables lecteurs, avec un article sur le symbolisme, à la gloire du symbolisme devrais-je dire, puisque vous en soulignez les mérites, ce qui, je dois l'avouer, me surprend assez, vous imaginant davantage adepte des choses claires, nettes et précises, du moins en matière de littérature.
    Cela étant dit, avec un tel sujet, vous vous mettez au diapason de ces symbolistes que vous citez, Gide et Mallarmé, avec leur "poignée de lecteurs" : en effet, après "L'Iliade", vous entrainez les vôtres, de lecteurs, toujours plus haut et il est à craindre que vous en laissiez bon nombre sur le bas côté avec des thèmes aussi élitistes ! Mais qu'importe, je suppose que, comme moi, vous clamez : "Il est des altitudes où les foules / Ne peuvent pas m'accompagner"...
    Puis, pour tout vous avouer, je suis bien content que vous laissiez tomber un peu la politique pour vous consacrer à des sujets plus élevés. Vous ne nous avez plus gratifiés depuis longtemps de vos lubies sur la bête immonde (vous n'avez toujours pas digéré son élection passée) et la révolution à venir (qui se fait attendre), puisque le dernier article en date qui en fait état remonte au tout début de l'année avec "2014, le basculement".

    Pour revenir à votre article, je ne sais pas si l'on peut qualifier Gide de symboliste, peut-être l'a-t-il été à une période de sa vie, mais je trouve bizarre de lui associer ce qualificatif.
    En tout cas, vous cernez bien à mon sens l'essence du symbolisme lorsque vous dites que "jamais la littérature ne s’était autant approchée du mysticisme, de l’Absolu", mais il aurait été intéressant d'après moi que vous nous parliez aussi un peu de peinture car je crois que c'est l'art privilégié où s'est exercé le symbolisme. Deux noms me viennent immédiatement en tête : d'abord et surtout Odilon Redon, qui m'a toujours intrigué, et Puvis de Chavannes. Je sais que vous êtes cependant moins friand que moi des arts picturaux, vous êtes un esprit, cher Laconique et l'image fait trop appel aux sens pour vous réjouir pleinement ! Sauf peut-être les images que l'on trouve sur des sites coquins dont je tairai le nom pour ne pas leur faire de pub, ils engrangent suffisamment de millions comme ça...

    Pour ce qui est de ce "triomphe du vide" dont vous parlez, ma foi, je suis plutôt d'accord, tout ça est très éthéré, c'est ce qui en fait la pureté et l'attrait, le danger aussi, celui de se déconnecter complètement de la réalité pour gagner des limbes ignorés, un peu comme Hyoga, vous savez le chevalier du cygne des "Chevaliers du Zodiaque", quand, dans la maison des Gémeaux, il est projeté dans d'autres dimensions où il est condamné à errer indéfiniment . Remarquez, vu le monde dans lequel on vit, c'est sans doute un destin enviable...

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  2. Hé oui cher Marginal, vous avez de l’intuition, vous sentiez que j’allais poster bientôt… Il faut dire que cela faisait presque un mois, et même pour un « laconique » comme moi, ça faisait beaucoup quand même…Je suis ravi de la concomitance de nos publications, les grands astres s’harmonisent, c’est naturel ! Je sais que les réseaux sociaux, et en particulier Facebook, bruissent de l’arrivée imminente d’un nouveau poème de votre part, on nous promet du lourd, je suppose qu’Abel Ferrara n’a qu’à bien se tenir, il n’arrive pas à la cheville du Marginal Magnifique en matière de scandale ! Mais ce qui compte avant tout c’est la musique des mots, et je sais que vous n’êtes pas en reste sur ce plan-là.

    Ma foi, je ne sais pas si je suis encore au niveau de L’Everest, mais c’est vrai que la solitude des sommets ne m’effraie pas, pas plus que vous ! D’ailleurs ne sous-estimez pas vos contemporains : je suis sûr que le symbolisme et la bonne littérature intéresseront toujours les âmes raffinées, et la beauté exercera toujours un invincible prestige sur pas mal de gens, vous en êtes une bonne illustration d’ailleurs.

    Pour la politique, inutile d’en rajouter, puisque la réalité me donne raison : François Bayrou et Ségolène Royal, enterrés il y a encore quelques mois, ont fait leur come-back en 2014, ils gouverneront bientôt, je ne vais pas fanfaronner… Quant à l’autre individu que vous mentionnez, il se dirige inexorablement vers l’abîme, dans lequel il entraîne tous ceux qui ont eu le malheur et la naïveté de le croire. Mais ne parlons plus de cette époque abjecte que nous avons dépassée, et à l’égard de laquelle nos mains sont toujours restées parfaitement pures.

    Je ne suis pas un spécialiste du symbolisme, mais j’ai surtout voulu rendre hommage à l’esprit d’une époque, les années 1890, au cours de laquelle l’Art semblait rayonner avec une pureté singulière, sans se préoccuper de rien d’autre. Je sais que vous aussi vous êtes sensible à cette période, à sa poésie, à sa peinture. On pourrait aussi parler de Debussy, qui est vraiment un de mes compositeurs préférés. Combien j’aurais aimé vivre en 1895, lorsque l’Art constituait la seule nourriture spirituelle de tant de génies ! Ce qui est bien avec internet, c’est qu’on retrouve un peu la liberté de cette époque : on publie ce qu’on veut, sans contraintes, sans se soucier du moindre impératif autre qu’esthétique. Je ne vais pas lancer une controverse sur Gide, mais vous avez tort, à mon avis, de trouver bizarre que je l’associe au symbolisme. Il a publié ses premiers écrits, « Le Traité du Narcisse », « Le Voyage d’Urien », sous l’égide de cette école, « Paludes » est une savoureuse description des milieux symbolistes, et je vous assure que dans pas mal de ses ouvrages, y compris dans « Les Nourritures terrestres », on sent quelque chose de cette langueur caractéristique du symbolisme. Je vous remercie d’ailleurs pour votre éclairage pictural. Je vous avoue que je connais mal les peintres que vous citez, je vais tâcher de combler mes lacunes, mais il est vrai que je me méfie du pouvoir que les sens peuvent prendre sur nous. C’est mon côté protestant, par lequel je rejoins Gide, Constant, l’Ancien Testament, et c’est un des rares côtés par lesquels nous différons dans nos goûts…

    Je suis heureux que ma conception du symbolisme vous fasse songer aux « Chevaliers du Zodiaque » ! C’est vrai qu’il y a quelque chose de mallarméen chez Hyoga, j’y avais déjà pensé, je vous assure !

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  3. J'aurais mieux fait de ne pas vous relancer sur votre marronnier... Et pour ce qui est de Gide, je vous fait confiance, cher Laconique, c'est vous l'expert !

    *J'en profite pour rectifier une de mes phrases : "Comme vous le savez les grands événements ne sont jamais tout à fait isolés et il est rare qu'ilS n'en entraineNT d'autres à leur suite."

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  4. Correction judicieuse. Pour mon "marronnier", vous observerez toutefois que je suis vos recommandations et que je n'en parle presque plus. Vous me tirez vers l'Art pur, cher Marginal, et vous avez bien raison !

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  5. "Correction judicieuse" mais pour en faire une plus ignoble encore dans le commentaire correcteur ! J'aime quand vous laissez tomber la politique, cher Laconique...

    *"je vous faiS confiance" !

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  6. Vous rendez un hommage intéressant au symbolisme. Et vos joutes verbales avec Le Marginal sont toujours un régal par leur truculence, leur finesse et leur intelligence pleine d'esprit. Votre culture élève vos lecteurs vers des sphères élitiques et ce texte en est très représentatif. Bonne journée.

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  7. Merci, c'est vrai que la fin du dix-neuvième siècle m'a toujours intéressé, tout était plus lent, plus calme, plus éthéré, c'était "la Belle Epoque" ! Le Marginal est un partenaire d'élite, mais ne le répétez pas trop, je ne voudrais pas que ses chevilles enflent outre mesure... "Les sphères célestes" dont vous parlez sont indispensables au bien-être mental, mais le hiatus avec le monde quotidien n'en est que plus violent, comme le Marginal lui-même l'a écrit dans maints poèmes... Bonne journée à vous.

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