6 mai 2022

William Shakespeare : Mesure pour mesure

Lu Mesure pour mesure de Shakespeare, avec plaisir et intérêt. Gide trouvait cette pièce « admirable » (Journal du 23 février 1930). Il m'est arrivé d'être dur envers Shakespeare, lequel heurtait mon vieux fond classique. Lorsque l'on se confronte à de tels sommets, il est difficile de dire quelque chose de vraiment pertinent, de vraiment neuf, difficile de ne pas paraître un peu à côté de la plaque. Force est de constater l'extraordinaire liberté de Shakespeare, l'extraordinaire amplitude de son théâtre qui avait deux siècles d'avance sur son temps. Contrairement aux classiques français, il n'était retenu par aucun dogmatisme philosophique ou religieux, il était parfaitement affranchi d'une tradition gréco-latine qu'il connaissait pourtant aussi bien que quiconque. D'où cette amplitude, cette ampleur de son théâtre, comme s'il était doté d'une dimension supplémentaire par rapport à nos classiques. Sur un sujet de mœurs très délicat (une grossesse en dehors des liens du mariage, une persécution par des autorités hypocrites, un chantage sexuel envers une jeune fille vierge et consacrée de surcroît, etc.), Shakespeare ne commet aucune faute de ton, et laisse à ses personnages pleine liberté d'exister et de s'exprimer. C'est du grand art, et cela traduit une grande ouverture d'esprit, cette tolérance qui est l'apanage des grands esprits : Montaigne, Molière, Goethe, etc.

2 commentaires:

  1. Je n'ai pas beaucoup lu Shakespeare, mais j'ai beaucoup aimé Hamlet, surtout le 1er acte. Yves Bonnefoy en a donné une préface remarquable, quasiment marxiste, qui analyse la vision du monde d'Hamlet comme une crise des valeurs féodales. Il y a une dimension individualiste, orgueilleuse et blessée, a-religieuse et désenchantée, noire et fataliste, tout à fait atypique là-dedans... Et puis le thème de la nuit, le spectre, le mystère... Ce n'est certainement pas le monde du théâtre classique français du 17ème siècle...

    On comprend bien pourquoi c'était un héros des romantiques, non seulement britanniques, mais aussi en France. Hugo a fait un essai sur Shakespeare. Il y a pas mal d'allusions à Shakespeare dans la peinture romantique, chez Delacroix par exemple.

    Tout ça me plaît beaucoup, l'esthétique romantique est ma préférée avec l'art classique grec et l'art italien renaissant, je dirais. Et le cyberpunk :D

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    1. Oui, cher Johnathan Razorback, c'est tout à fait ça, vous en parlez très bien. Il est d'ailleurs difficile de faire de la critique sur Shakespeare, c'est un tel génie, on passe forcément à côté de beaucoup de choses, de l'essentiel. Pour moi c'est sans doute le seul créateur que l'on puisse comparer à Homère pour l'ampleur de l'univers créé, et cette hauteur de vue qui dote chaque personnage de motivations propres, légitimes. Il y a des passages qui sont devenus intraduisibles, c'est inégal, mais c'est vraiment habité.

      Il a bien sûr eu une influence sans égale. Je connais mal le théâtre de Hugo, mais j'apprécie beaucoup celui de Musset par exemple. Et il y a aussi les peintres préraphaélites... C'est un monde... Je comprends qu'il vous plaise, il est par-delà le bien et le mal à sa manière.

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