28 février 2024

Considérations sur le déploiement historique du principe de singularité



La présente réflexion se propose d’étudier de façon purement a priori les modalités de manifestation du transcendant au sein d’un univers donné.
Il est bien évident que s’il n’y a pas de transcendant, si l’univers est la manifestation de son activité propre, d’un déploiement purement immanent de son essence propre, alors toutes les métaphysiques élaborées au sein de cet univers tendront à converger vers une doctrine unique, une doctrine de l’identité ultime de l’individu et du Tout. Au-delà des différences culturelles qui pourront affecter les multiples civilisations, les sages de tous les lieux et de toutes les époques se rejoindront sur ce constat immanentiste et métaphysique. Il n’y aura pas, en toute rigueur, de place, dans un tel univers, pour le singulier absolu, mais toutes les entités pourront être subsumées sous des catégories universelles dont elles tireront leur essence. En outre, une telle configuration impose nécessairement une disjonction entre la réalité perçue immédiatement (trivialement) et la réalité profonde et cachée du monde, d’où l’émergence, précisément, de doctrines de type « métaphysique ». Cette disjonction entre l’essence et la manifestation entraînera, chez ceux qui s’engageront dans cette voie de l’élucidation de la nature de l’univers, un type de comportement commun, visant à s’abstraire de la manifestation pour rejoindre l’essence, type de comportement qui impliquera un détachement de plus en plus radical à l’égard de la manifestation dans le but de réaliser l’unité primordiale, détachement universel que l’on peut désigner sous le terme générique d’« ascèse ». Dans cette hypothèse, toutes les entités individuelles, quels que soient leur culture d’origine ou leur milieu, qui aspireront à réaliser en elles cette unité métaphysique, devront s’engager dans ce comportement universel et normatif, dans cette ascèse.
Il est dès lors bien évident, si l’on envisage l’hypothèse opposée, celle d’un transcendant originel, que ce transcendant, s’il aspire à établir un dialogue avec sa création, ne pourra absolument pas s’engager dans la voie d’une métaphysique comparable aux innombrables métaphysiques naturelles, élaborées dans l’optique d’une immanence de l’univers. Il lui faudra, bien au contraire, s’il est vraiment le Transcendant, choisir la voie opposée, celle de l’arbitraire pur, de la pure liberté et de la complète gratuité. Or, la chose la plus arbitraire qui soit, la seule chose par conséquent propre à manifester une volonté extérieure à l’immanence de l’univers, c’est la législation. Dans cette hypothèse, la seule voie qui s’offre au transcendant est donc celle d’une législation révélée. Bien entendu, cette législation ne pourra jamais être purement individuelle, car dans ce cas l’arbitraire de l’entité individuelle ne pourrait en aucun cas être distingué de l’arbitraire du transcendant. Elle devra donc s’adresser à une communauté, à un « peuple », un peuple séparé des autres, qui sera porteur, au sein de l’immanence universelle et à travers l'histoire, de l’existence et de la volonté du transcendant. Nous aurons donc la mise en place d’une dialectique entre un peuple séparé, c’est-à-dire, étymologiquement, un « peuple saint », d’un côté, et les « nations » de l’autre. Cette dialectique entre le peuple saint et les nations sera génératrice d’une tension, d’une remise en cause de l’immanence et de toute métaphysique en général, qui témoignera de la présence du transcendant au sein de la création.
Il est bien évident que cette tension dialectique, comme toute tension dialectique, tendra nécessairement, à un moment ou à un autre, à une résolution, à un dépassement dialectique, à une réconciliation des deux pôles de tension au sein d’une synthèse supérieure. Il est absolument impossible de déterminer de façon a priori la forme que pourrait prendre ce dépassement dialectique. Le cas le plus extrême, sans doute, qui pourrait être envisagé, serait, puisque toute la démarche de révélation de la part du transcendant implique une volonté d’alliance entre ce Transcendant et l’entité individuelle, que le transcendant pousse cette alliance à son terme le plus absolu en adoptant la nature de l’entité individuelle. Il s’agit là, bien sûr, d’une hypothèse vertigineuse, celle d’une sorte « d’incarnation » du transcendant. En ce transcendant incarné, la totalité du principe de singularité serait préservée (ce qui implique une continuité et non une rupture), la réconciliation entre le transcendant et sa création serait opérée, et la dialectique entre le peuple saint et les nations se résoudrait de façon définitive.
Néanmoins, une telle hypothèse ne signifierait nullement la disparition, sur le plan historique, du principe de singularité introduit par le transcendant lors de sa révélation au peuple séparé. Bien au contraire, tant que durera la création, ce peuple séparé continuera à jouer son rôle prophétique de dissolution de toute métaphysique naturelle et de témoignage du transcendant. Ce rôle historique ne sera nullement remis en cause par l’Incarnation. Mais la pointe aigüe de témoin du transcendant et de moteur de l’avènement eschatologique des promesses du transcendant résidera nécessairement dès lors chez ceux qui se réclameront du dépassement dialectique opéré par le transcendant. Ceux-ci devront être à la fois porteurs du principe de singularité posé par le transcendant (c’est-à-dire de la liberté, par opposition à toutes les déterminations immanentistes), et de la réintégration de l’ensemble de la Création dans l’Alliance, laquelle constitue l’objet propre de ce dépassement dialectique.
Il résulte de tout ceci une conséquence bien évidente, c’est qu’il est rigoureusement impossible, pour ceux qui se réclament du dépassement dialectique, de s’en prendre au principe de singularité posé par le transcendant, et plus précisément à sa manifestation historique et concrète, c’est-à-dire au peuple saint. Il y aurait là, en effet, une négation absolue du transcendant, de la part de ceux qui se réclameraient de son Incarnation. Le dépassement dialectique n’est en effet nullement un retour à l’universalisme métaphysique des conceptions immanentes de l’univers, mais au contraire une sorte d’« exhaussement » de tout cet univers au niveau du principe de singularité. C’est là un point qu’il est absolument essentiel de comprendre. D’un point de vue purement historique et contingent, néanmoins, il est très probable que cette prise de conscience ne s’effectue pas aussi clairement qu’il serait souhaitable chez ceux qui se réclament du dépassement dialectique (quel qu’il soit). Mais il est évident qu’un retournement de ceux-ci contre le principe de singularité dont ils sont issus offrirait le triste spectacle d’un contresens complet quant à leur être même et à leur rôle eschatologique, et d’une trahison de la volonté et du message du Transcendant.
Il me semble que c’est là ce que l’on peut avancer de plus clair et de moins sujet à caution quant à la question délicate de savoir si l’on peut établir de façon a priori les modalités de manifestation d’un éventuel transcendant par rapport à un univers donné.

4 commentaires:

  1. Eh bien, cher Laconique, vous enchainez, vous envoyez du lourd à répétition ! Plus rien ne semble pouvoir vous arrêter depuis votre retour.

    En tout cas, les mouches ont du souci à se faire, tant vous êtes passé expert dans l'art de sodomiser ces pauvres insectes. 😂

    Bah, je vous taquine, cher Laconique, mais c'est pour masquer mon incapacité philosophique à commenter avec pertinence une telle publication.

    D'ailleurs, avez-vous pensé à publier vos travaux dans le milieu universitaire ?

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    1. Rassurez-vous cher Marginal, je vais ralentir le rythme, ce sera un ou deux articles par mois max (mais un ou deux tout de même).

      Non non, ce n’est pas du simple « enculage de mouche », il y a un propos derrière, même si les barbelés du langage philosophique sont en effet dressés pour écarter le profane du Saint des saints !

      Ah bah, il ne faut jamais dire jamais, je ne sais pas où je publierai à l’avenir, dans Playboy s’il le faut, mais je vous avoue que le monde universitaire n’exerce aucun prestige particulier sur moi. Il me semble qu’un certain formatage est nécessaire pour s’y intégrer intellectuellement. Cela me va très bien de rester pauvre avec les pauvres, avec les subversifs, les originaux, les bloggeurs et les trolls.

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    2. Je sais bien qu'"il y a un propos derrière", mais, si ça continue, cela ne m'empêchera pas de vous signaler à la SPA, cher Laconique ! Et il manquerait plus que le puissant sanglier universitaire adepte de sexualité bestiale se joigne à vous en commentant cette publication ! Ce serait tout simplement l'hécatombe pour les pauvres petites bestioles...

      Finalement, c'est moi que l'on dénomme Le Marginal, mais ce patronyme vous irait encore mieux qu'à moi. Vous avez une mentalité d'artiste maudit très dix-neuvième siècle !

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    3. Vous me faites marrer, cher Marginal ! Il m’avait manqué, ce GIF…

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